Fin octobre, Stéphanie Cornet, fondatrice de Trait Déco nous a accordé une chouette interview. L’occasion de découvrir le parcours, les valeurs et les projets de cette pionnière bruxelloise et de son agence orientée Design, Décoration et Economie circulaire.
Une véritable histoire d’amour et un cri du cœur en faveur de l’artisanat, de l’éthique et de l’écologie.
E.T.R.E. C’est évident
Fondée en 2007 par Stéphanie, d’abord en tant qu’indépendante puis sous forme de société depuis 3 ans, Trait Déco c’est avant tout une jolie palette de valeurs qui tient en 4 lettres, soigneusement choisies.
« Ces valeurs de Trait Déco, je ne les avais jamais mises sur papier, mais finalement elles coulent de source. »
Stéphanie Cornet, fondatrice de Trait Déco
Et ça a donné « E.T.R.E. »
« Et c’est vraiment ça :
E pour Ecologique, et c’est évident car on travaille sur de la récupération.
T pour Technique parce qu’on parle d’artisanat, de savoir-faire et de méthodes traditionnelles.
R pour Recyclage mais aussi pour Restauration.
E pour Ethique, parce que l’être humain et la planète sont au cœur de notre projet et que, pour nous, ça passe avant tout ».
S’amuser avec les mains
Cette histoire, c’est aussi celle d’un itinéraire, fait de rencontres, d’aventures et de détours.
Des études d’histoire et d’archéologie, des missions à Versailles et à Barcelone notamment, puis le retour à Bruxelles dans l’édition, la culture et le marketing…
et, finalement, le mur, l’impasse, le burnout.
« Et donc, à ce moment-là, je me suis dit : mais qu’est-ce que j’aime ? Eh bien, ce que j’aime, c’est travailler avec mes mains. C’est bien d’avoir un cerveau bien rempli, des capacités humaines et autres, mais si on ne s’amuse pas avec les mains, ça ne va pas le faire ».
Du coup, retour aux études. Aménagement d’intérieur et peinture décorative. Et retour à la vie.
« J’ai eu l’immense chance d’être formée par des vieux de la vieille qui, depuis, ont quitté l’enseignement. Ils m’ont laissé ce bagage extraordinaire. J’ai reçu là un vrai cadeau. Et j’ai moi aussi envie de le transmettre à mon tour. Aux jeunes qui nous rejoignent notamment. Il faut réapprendre à travailler de ses mains. Les filières techniques et professionnelles ont été vraiment dévalorisées, saccagées même. C’est très dur aujourd’hui de trouver des peintres décorateurs bien formés alors que le travail est là. »
« C’est l’économie circulaire qui m’a choisie »
Pour Stéphanie, c’était une évidence.
« Ça faisait bien longtemps que je faisais de l’économie circulaire. Avant même que le nom existe, en fait. A Bruxelles, cela ne fait que quelques années que le nom est là, qu’on en parle et que l’économie circulaire trouve enfin ses lettres de noblesse et tout son sens. Et sa consécration ».
Cette voie de l’économie circulaire était naturelle pour Stéphanie qui a toujours recyclé et revalorisé.
« En tant qu’historienne de l’art, je ne comprenais pas que des belles choses finissent souvent à la benne, vraiment je ne comprenais pas. Il faut dire aussi que dans ma famille, le recyclage on l’a toujours pratiqué ».
Alors, comme le Monsieur Jourdain de Molière avec sa prose (dans le « Bourgeois Gentilhomme » pour ceux qui ont séché les cours), notre pionnière se rend compte qu’elle a toujours fait de l’économie circulaire sans le savoir.
Intéressant.
Très déco mais pas seulement
L’activité originelle de Trait Déco c’est la restauration de mobilier. Mais, en réalité, l’activité de l’entreprise aujourd’hui est multiple.
Et passionnante, il faut bien le dire.
« Il y a trois piliers, en fait, chez Trait Déco.
D’abord, la formation et la transmission des savoir-faire. Nous donnons des cours de restauration de meubles, d’upcycling. C’est fort en suspens en ce moment évidemment mais on ne s’inquiète pas, ça reviendra.
Le deuxième pilier, c’est l’aménagement d’intérieur écoresponsable. Avec mon équipe, composée en grande partie d’architectes d’intérieur, une super-équipe de nanas, on développe des projets d’aménagement qui ont du sens, qui répondent vraiment à ce que veulent les clients et en récupérant tout ce qu’on peut récupérer. Créer du nouveau mobilier avec des vieux lambris, par exemple. L’idée, c’est vraiment d’éviter de tout balancer à la benne.
Et en travaillant, bien sûr, toujours avec des produits naturels, pour la peinture, le traitement du bois, etc.
Et enfin, bien sûr, notre troisième pilier, c’est le mobilier en tant que tel. On récupère des tissus, des bois, des matériaux pour refaire des collections, des coussins, des meubles. Plein de choses, en fait ».
Mais, pour toi, Stéphanie, l’économie circulaire, c’est quoi ?
Avant toute chose, c’est une pensée, un esprit.
« S’arrêter, s’assoir et se dire ‘Qu’est-ce que j’ai autour de moi ?’
Et, en fait, on a beaucoup trop autour de nous. Comme des enfants trop gâtés. Et du coup, on pollue. Enormément. Alors, j’essaie d’apprendre à me rendre compte de ce qui n’est pas vraiment utile. Et ce qui n’est pas utile, je réfléchis à lui donner une nouvelle fonction, une nouvelle vie. Pas forcément pour que ça m’appartienne d’ailleurs.
Je suis trop contente quand je récupère des jolies choses et que j’arrive à lui donner une autre fonctionnalité, à créer un autre objet que je peux offrir ou partager ».
Eh bien moi, ça me parle. Et vous aussi, j’espère, cher lecteur.
« Comme vous, Lively, nous sommes lauréats 2019 Be.Circular.
Et ça, dans 10 ans, on le regardera et on se dira qu’on était les enfants de quelque chose qui entretemps sera devenu tout à fait normal ».
Et plus concrètement ?
Parce que ça, c’est circulaire, mais ce n’est pas forcément de l’économie.
« C’est vrai et c’est vrai aussi qu’aujourd’hui, l’économie circulaire n’est pas toujours rentable. Surtout parce que c’est une économie qui se cherche, qui est toujours en construction ».
Et, du coup, Stéphanie, vous faites comment chez Trait Déco ?
« Nous, nous avons fini par la trouver, cette rentabilité, surtout en développant différents services.
Parce que c’est vrai que si je me basais juste sur la vente de mobiliers upcyclés, sans proposer les services que j’offre à côté, la formation et l’aménagement d’intérieur notamment, on n’y serait pas. Ce sont des services qui expriment vraiment ma vision de l’entreprise et de ce que je veux apporter. Et ce sont ces services qui nous permettent d’atteindre cette rentabilité.
C’est vraiment important de construire cette cohérence. Notre futur, il est là ».
Alors, c’est donc possible de réussir dans l’économie circulaire ?
Oui, ce n’est pas facile mais c’est possible.
N’est-ce pas, Stéphanie ?
« C’est vrai. Mais construire une entreprise qui tourne, c’est déjà un gros challenge. Et dans l’économie circulaire, c’est encore plus de travail. Ce serait plus facile de vendre du « Made in China » mais ce n’est pas ce qu’on veut, c’est tout ».
Alors, ça vaut le coup ou pas ?
« Clairement. Le potentiel est là et il est énorme.
L’important, c’est de donner de la valeur aux choses. Et, pour nous, c’est là que tout le travail artisanal trouve son sens. Et qui dit travail artisanal dit travail local, ce qui signifie ramener des savoir-faire, notamment ceux qui ont été perdus, et les partager, idéalement à l’échelle européenne.
Dans les pays du sud de l’Europe, en Espagne et au Portugal en particulier, il y a encore des savoir-faire qui peuvent nous apporter énormément et grâce auxquels beaucoup de choses peuvent être encore réalisées. En fait, on en a vraiment besoin et surtout quand on traverse des crises comme celle qu’on connaît aujourd’hui ».
Avenir régénéré
Ça fait au chaud au cœur d’entendre Stéphanie parler d’avenir.
« En fait, c’est nous tous. On a encore beaucoup de choses à changer et cet avenir, il appartient à ceux qui vont prendre conscience de cette bienveillance et de ce bien-être qu’on doit partager. En consommant autrement, en se limitant à l’essentiel, en ralentissant ce rythme effréné ».
Plus facile à dire qu’à faire, me direz-vous ?
Peut-être mais, comme d‘autres, elle estime que ces changements sont déjà à l’œuvre, surtout chez les jeunes.
« Je la sens vraiment, cette résilience aujourd’hui.
De plus en plus de jeunes, notamment chez ceux que nous accueillons en stage ou autre chez Trait Déco, possèdent moins et surtout, ils ont moins cette envie de posséder. Je crois vraiment que ce sont ces nouvelles générations qui font ce changement. C’est à eux qu’appartient l’avenir. J’ai vraiment de l’espoir par rapport à ça ».
Images & Photos
Photos : Trait Déco
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