L’empreinte matérielle des Européens

Cela fait maintenant plus d’un an que l’Europe, comme le reste du monde, fait face aux conséquences humaines et économiques des vagues successives de propagation du COVID-19.

Celles-ci ont engendré d’importantes transformations dans les habitudes de consommation des Européen.ne.s : entre le commerce en ligne en pleine expansion, l’augmentation annoncée des ventes de voitures et l’explosion de la consommation de café et de produits de coloration capillaire, aucun secteur ne restera inchangé dans le monde de l’après-pandémie.


Une consommation européenne à bout de souffle

Les ressources de notre planète ne sont pas infinies, et la consommation que nous en faisons aujourd’hui (à un rythme effréné et selon une trajectoire essentiellement linéaire) n’est pas durable.
Si tous les habitants de la planète consommaient comme les Européens, nous aurions besoin d’une quantité de ressources naturelles équivalant à celles de trois planètes pour pouvoir maintenir notre mode de vie.

Une oeuvre prophétique de Christophe DombresDomaine public

Pour que notre modèle de consommation reste dans les limites de la planète, chaque citoyen.ne européen.ne devrait réduire de 80% la quantité de ressources naturelles qu’il.elle utilise actuellement pour son alimentation, son logement, ses déplacements et ses loisirs.

Cet objectif peut être atteint en combinant efficacité et suffisance.

Efficacité pour réduire l’empreinte matérielle de la consommation quotidienne, et suffisance (soit la réduction générale de la consommation) pour les biens dont l’empreinte ne peut être réduite et qui se révèlent être un luxe (transport aérien, véhicules utilitaires sportifs).


Et aussi parce qu’il faut être juste

Au-delà des préoccupations environnementales, il s’agit là d’une priorité sociale et d’équité.

Aujourd’hui, le 1% le plus riche de la population mondiale est responsable de plus du double de la pollution carbone des 3,1 milliards de personnes les plus pauvres.
Ces profondes inégalités s’observent à la fois entre les pays et au sein de ceux-ci. En Europe, le niveau de pauvreté matérielle varie de 3 % pour la population suédoise à 47 % pour la population bulgare.

Compte tenu de la rareté des matériaux nécessaires pour soutenir notre mode de vie actuelle, les prix vont augmenter sur le long terme.
Il serait injuste et inefficace de faire peser sur les seuls consommateurs la charge de changer leurs habitudes de consommation sachant qu’une hausse des prix pour les biens essentiels affecte de manière disproportionnée les ménages les plus pauvres.

Avec des choix politiques mûrement réfléchis, l’innovation permettrait des gains en efficacité et les industries porteraient la charge créée par l’empreinte de leurs produits, tout comme les autorités publiques (par exemple via les marchés publics verts).


C’est quoi la différence entre l’empreinte matérielle et l’empreinte carbone ?
Tandis que l’empreinte matérielle est un indicateur basé sur la consommation, l’empreinte carbone mesure la quantité de dioxyde de carbone libérée dans l’atmosphère comme conséquence des activités d’un individu, d’une organisation ou d’une communauté donnée.
Si l’on calcule l’empreinte carbone d’un téléphone par exemple, on trouverait le carbone qui a été utilisé pour le transport, la production et l’utilisation du produit.
Cela ne révèlerait cependant pas d’informations quant à la durabilité des produits qui ont été utilisés.
L’empreinte matérielle mesure l’utilisation des ressources sur la totalité du cycle de vie des produits, services et activités, comme par exemple la consommation de nourriture ou les habitudes de transports.


Comment l’empreinte matérielle est-elle calculée ?
L’empreinte matérielle est calculée sur la base de l’apport matériel qui a lieu durant le cycle de vie de tous les biens et services utilisés par les ménages.
L’empreinte matérielle de nos modes de vie dépend de deux facteurs : à quel point nous consommons et l’intensité matérielle de ce que nous consommons.
Le premier facteur représente la quantité d’un produit ou d’un service consommé dans son unité de mesure, comme le nombre de kilomètres parcourus, ou les kilos de nourriture consommés.
Le second facteur représente la quantité totale de ressources renouvelables (biotiques), de ressources non-renouvelables (abiotiques), et d’érosion venant de l’agriculture et du secteur forestier, associés au cycle de vie du produit ou du service pris en considération.


Et l’Europe dans tout ça ?

Selon l’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE), l’Europe a fait quelques progrès en matière d’efficacité d’utilisation des ressources naturelles et d’économie circulaire.

Sur la période 2003 à 2018, l’économie de l’UE a connu une croissance (en termes de PIB) de 23,4 %, tandis que la consommation intérieure de matières (CIM), qui mesure la quantité totale de matières directement utilisées par une économie, a baissé de 4,8 %.
Les tendances observées doivent toutefois être interprétées avec prudence, car elles ne sont pas entièrement dues au succès des politiques environnementales. La chute de la CIM depuis 2008 a été fortement influencée par la crise financière.

Il faut aussi noter qu’entre les années 2000 et 2017, les importations physiques en provenance de l’extérieur de l’UE ont augmenté d’environ 20 %.
Etant donné que jusqu’à 60 % de l’empreinte matérielle de l’Europe liée à la consommation est le résultat des activités menées en dehors des frontières de l’UE (AEE 2020), une ‘fuite des matières’ peut être déduite, telle que les ‘fuites de carbone’.


L’Union Européenne a adopté des mesures ambitieuses pour lutter contre la consommation non-durable, notamment Avec le nouveau plan d’action sur l’économie circulaire publié en début d’année 2020 (ici).

Bien que ce rapport fasse le lien entre la consommation moyenne européenne et les limites planétaires, il a manqué de mettre en évidence le besoin d’équité en ce qui concerne l’accès aux ressources naturelles, ainsi que le besoin d’objectifs de réduction d’utilisation et d’extraction de matières premières.

Le rapport du Parlement Européen sur le nouveau plan d’action sur l’économie circulaire, adopté en février de cette année 2021, a, quant à lui, cherché à répondre à ces manquements.
Il a notamment inclus des propositions sur le renforcement du label écologique de l’UE en tant que référence en matière de durabilité environnementale, et l’introduction d’objectifs européens contraignants pour 2030, fondés sur la science, en ce qui concerne l’utilisation des matières et l’empreinte de consommation, couvrant l’ensemble du cycle de vie d’un produit pour chaque catégorie de produit mis sur le marché de l’Union.

Les politiques publiques telles que celles énoncées dans le « Green Deal européen » doivent néanmoins permettre aux consommateurs d’accéder à des modes de vie alternatifs.
Promouvoir de cette façon une alimentation, une mobilité, un logement et un mode de vie à faibles émissions de carbone permettrait de s’attaquer à la fois au volume de la consommation et à sa composition.


Aux arbres, Citoyens !

Même s’il devient essentiel de réduire globalement notre consommation, il y a bien plus à faire pour encourager et donner les moyens aux individus de consacrer plus de temps et d’argent à des activités qui n’impliquent pas une consommation matérielle.

Une étude récente de GlobeScan montre qu’une proportion importante des citoyen.ne.s de l’UE souhaite passer plus de temps avec leur famille et leurs amis (78 %) ou dans la nature (74 %).
Bien que les Européens soient prêts à adopter des habitudes de consommation plus durables, trop de leviers persistent à pousser à la consommation.

Source : Bikanski

En finir avec les publicités criminelles

Le New Weather Institute a demandé l’interdiction de la publicité pour les véhicules utilitaires sportifs en raison du risque que représente l’augmentation des ventes de 4×4 pour la réalisation des objectifs climatiques du Royaume-Uni.

Alors qu’un débat intense sur la réglementation de la publicité est en cours en France, quatre chambres de commerce nationales, représentant des milliers d’entreprises de tous les secteurs, ont demandé l’interdiction du coup médiatique Black Friday, incitant à la surconsommation.

Stop adverts fuelling the climate emergency

On veut des objectifs et des contraintes

Compte tenu des limites de la planète et de notre « budget matériel », il est indéniable qu’il nous faut des objectifs absolus de réduction des matériaux ou un système de mesure équivalent.

Suite au signal envoyé par le Parlement Européen, et comme avec le budget carbone, il est nécessaire d’engager le débat de notre « budget matériel » sur base de justice sociale et environnementale.
Il revient notamment aux décideurs politiques et au secteur privé de faire en sorte que le choix le plus durable soit le plus facile d’accès pour les citoyens. La consommation durable doit soutenir la justice sociale et être aussi pratique que possible.

L’objectif est et restera de bien vivre dans les limites planétaires.

Plus de la moitié des émissions carbone produites depuis 1751 l’ont été ces 30 dernières années.

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