Tous pour les biens communs !

Vous avez envie de partager un projet, une activité ou un bien avec des proches, avec une communauté ?
Mais vous n’êtes pas sûr de savoir comment vous y prendre pour que ça se passe bien ?

Et bien schématiquement, c’est à cela que servent les « biens communs » ou, plus simplement, les Communs (avec une majuscule parce que c’est quand même pas commun… oups, sorry).


Pour gérer le partage

Tout d’abord, connaissez-vous les Communs qui existent près de chez vous ? Non ?
Et pourtant, il y en a très probablement.

Remarquable sur le sujet, la ville de Gand, par exemple, on compte 500.
Vous pouvez ainsi vivre et expérimenter toutes les fonctions vitales d’une communauté au travers d’un Commun pour vous cultiver, vous loger, vous nourrir, vous déplacer, faire la fête, etc.

Source : Women and Children’s Alliance

Mais c’est quoi, nom de nom ?

D’accord, d’accord. Commençons par essayer de définir ce qu’est un Commun.
Que nous dit Wikipédia, notre encyclopédie open source préférée, à ce sujet : Un Commun c’est « un bien patrimonial partagé par les membres d’une communauté, au sens spirituel et moral du mot « bien », de même qu’au sens matériel et pratique (ce dont on dispose ou ce qu’on possède) ».

OK. On y voit un tout petit peu plus clair.
Continuons nos investigations avec une petite plongée rapide dans la littérature et l’histoire.

Elinor Ostrom (1933 – 2012) est la première femme à recevoir le prix dit Nobel d’économie, avec Oliver Williamson, « pour son analyse de la gouvernance économique, et en particulier, des biens communs »

Elinor Ostrom, la première femme à recevoir le prix « dit » Nobel d’économie, définit un Commun par son mode de gouvernance collaborative de ressources (matériels ou immatérielles) dont la gestion doit idéalement être collective, préservante et non-exclusive (car il existe un risque réel de rivalité ou selon elle de « soustractibilité » de l’usage de ces ressources).
Ce prix Nobel des sciences économiques lui a été décerné le 10 décembre 2009, “pour avoir démontré comment les biens communs peuvent être efficacement gérés par des associations d’usagers”.

Les poissons constituent un exemple de biens communs.
Si on n’établit pas des règles de gouvernance (pas entre poissons, quoique ce serait sans doute encore mieux) mais entre êtres humains, le risque de surexploitation est réel.


La Tragédie des Communs

Dans son travail, Elinor Ostrom repense complètement la perception restrictive portée par Paul Samuelson, un autre économiste qui reçut le même prix 50 ans plus tôt, lorsqu’il a mis en évidence la dualité, voire le conflit, entre les biens privés et publics.

Elle propose aussi une alternative à la Tragédie des Communs, ce concept étudié à la fin des années 1960 qui décrit « un phénomène collectif de surexploitation d’une ressource commune qui peut se produire dans une situation de compétition pour l’accès à une ressource limitée face à laquelle la stratégie économique rationnelle aboutit à un résultat perdant-perdant ».

Considérée aujourd’hui par certains comme un mythe, cette Tragédie des Communs met en lumière la motivation individuelle réduite aux seuls profits immédiats qui mènerait obligatoirement à une surexploitation d’une ressource, dont le coût et la gestion sont pourtant supportés par tous.  

Par exemple, des villageois qui se partagent un champ de pâture sont incités à le surexploiter : chacun aurait intérêt à y faire paître le plus grand nombre possible de bêtes, puisque le champ ne lui appartient pas, et que le coût lié à son usure est partagé avec tous les autres éleveurs.
J’en profite, c’est les autres qui payent…

Ainsi, selon Paul Samuelson, un Commun ça ne peut pas marcher parce que chacun voudra exploiter à son propre profit et au maximum de ses capacités une ressource censée être partagée.
J’ai presque envie de dire que c’est le drame du communisme…

Avec l’essor du néolibéralisme, la « tragédie des communs » va être rapidement simplifiée sous la forme d’un plaidoyer pour la seule propriété privée.

CNRS Le Journal

Cela étant, dans les faits, les humains n’agissent pas uniquement de façon rationnelle et égoïste, et certainement pas en permanence lorsqu’ils vivent au sein d’une même communauté, à proximité d’un Commun.

Vote 4 The Common Good – Source : Wikipédia

Tout n’est peut-être pas perdu…


Une question de gouvernance

Ainsi donc, fondamentalement, Elinor Ostrom oppose à la vision pessimiste (et un peu défaitiste quand même) de son aîné une vision beaucoup plus positive centrée sur le mode de gestion du Commun.

En deux mots, ça peut marcher mais, pour que ça marche, il faut des règles claires et partagées.
Mais quelles règles ? Me demanderez-vous.

Ne bougez pas, je demande à Elinor. 
Voilà, j’ai la réponse.

Selon notre éblouissante et optimiste économiste, il s’agit de trouver ensemble des équilibres qui permettront de gérer les éventuels rapports de force (lesquels, selon elle, seraient trop simplifiés par les théories économiques classiques qui considèrent schématiquement que l’homme est un rapace et qu’il faut faire avec).

Source : Eureka Street

Les travaux d’Elinor mettent en évidence 8 principes essentiels qui sont autant de fondamentaux pour la bonne gouvernance d’un Commun :

  1. La définition claire de l’objet de la communauté et de ses membres. En deux mots, on est ensemble pour faire quoi ? C’est quoi le projet ? Et c’est quoi le Commun ?
  2. Les règles d’exploitation et de mise à disposition doivent être claires et adaptées à la nature de la ressource partagée.
  3. L’implication des utilisateurs dans la modification des règles opérationnelles concernant la ressource commune pour assurer les adaptations dans le temps de l’exploitation de la ressource et sa pérennité. Pour être clair, comment décidera-t-on quand on voudra changer quelque chose ?
  4. La responsabilité des surveillants de l’exploitation de la ressource commune et du comportement de ses exploitants devant ces derniers. Celui qui garde un œil sur le truc ou qui le gère doit assumer ses responsabilités devant les autres membres du Commun.
  5. La proportionnalité des sanctions pour non-respect des règles d’exploitation de la ressource commune, sans intervention d’une autorité externe à la communauté. Il s’agit d’une « conformation volontaire ». Dans quel cas on sort le carton ? Et pour quelles fautes ? Et c’est quoi la sanction ?
  6. La création et l’accès rapide à des instances locales bienveillantes de résolution de conflits. Comment fait-on s’y on n’est pas d’accord ? Qui tranche ?
  7. La reconnaissance de l’auto-organisation par les autorités gouvernementales externes. Ça aussi, c’est important. Votre Commun doit être reconnu par la Commune (amusant, ça) et les pouvoirs publics.
  8. Une organisation sur les différentes échelles du projet des activités d’appropriation, d’approvisionnement, de surveillance, de mise en application des lois, de résolution des conflits et de gouvernance.

Les mots-clefs ici sont donc : organisation, formalisation et acceptation.


Michel Bauwens, informaticien belge, fondateur de la la Fondation P2P
Crédit photo : Sebastiaan ter Burg

Michel Bauwens, Fondateur de la P2PFoundation, insiste pour sa part sur l’importance de deux principes supplémentaires :

  1. La non-réciprocité : Les contributrices et contributeurs au Commun ne doivent pas forcément rechercher une contrepartie immédiate à leur contribution. Ce n’est pas parce que je participe et que je m’investis que dois forcément attendre un retour rapide de ma contribution.
  2. L’équipotentialité : Chacun.e peut contribuer librement au Commun. Les contributions sont évaluées et validées par les pairs en toute bienveillance. L’équivalence des capacités prévaut à toute évaluation. Ici, le mot-clef, c’est « liberté ».

Maintenant vous êtes prêts

Cette approche de l’autogouvernement théorisée par Elinor Ostrom a ouvert la voie à de riches expérimentations portées principalement par des citoyen-ne-s auto-organisés, avec une pluralité de combinaisons de structures (formelles ou informelles) qui se renforcent mutuellement en apportant chacune leur juste valeur ajoutée dans un écosystème au service du bien commun.

Ainsi, grâce à ces quelques règles de base, vous savez, vous aussi, comment vous investir à votre tour dans un Commun.
Vous êtes donc prêts à aller sonner chez les voisins pour leur proposer votre idée de jardin partagée, de mise en commun de votre table de ping-pong ou de réhabilitation participative de la friche industrielle au bout de la rue.

Vous voulez vous inspirer de Communs existants ?
Le portail de la P2PFoundation est une source d’information et de références qui vous permet de plonger au cœur de cette économie alternative bien réelle, déjà présente dans nos villes.
Notamment à Gand où il existe déjà 500 communs cogérés par des citoyens.


Commun & Circulaire

C’est une évidence, l’Economie Circulaire & l’Economie des Communs forment un binôme quasi-parfait pour une meilleure exploitation des ressources planétaires.
Et il ne s’agit pas uniquement des ressources naturelles, mais de l’ensemble des ressources incluant les stocks, les flux présentant dans nos mines urbaines et la façon de les préserver, de prolonger leurs durées de vie dans notre écosystème en respectant la nature, dont nous faisons entièrement partie en tant qu’être vivant.


Quand le capitalisme ne sera plus

Last but not least, les Communs constituent des expérimentations citoyennes pérennes qui permettent d’augmenter significativement la résilience des activités humaines.

La finance peut s’écrouler, les multinationales se délocaliser, les monnaies s’effondrer… les échanges économiques réels au sein des Communs survivront.

Mieux encore, ce sont les Makers, membres des Communs qui seront les plus habiles et les premiers à réagir et à innover, comme ce fut le cas au début de la pandémie, ou encore lors d’effondrements d’industries comme à Détroit où les Communs dédiés à l’agriculture urbaine ont remplacé les usines automobiles et permis de préserver une réelle vie sociale.

Co-investir dans un commun ?
Rien de plus simple via la plateforme coopérative de financement participatif F’In Common.
Devenez coopératrice-eur en quelques clics et choisissez les projets que vous souhaitez soutenir.


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