Des branches dans la ville

Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes et cette proportion devrait atteindre environ 70 % à l’horizon 2050.

Dans le même temps, les rapports concernant les évolutions climatiques se font de plus en plus alarmistes.
L’avenir que nous dessinent ces prévisions est de plus en plus sombre.
Or, parmi les pistes que met en lumière le dernier rapport du GIEC (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat) figure en bonne place la question des zones urbaines, qui offrent encore des potentiels considérables en termes de réduction des gaz à effet de serre (Source : Lapresse.ca).

Rénovation des bâtiments, mobilité, transport… les possibilités d’améliorations sont multiples.

Cela signifie donc que notre avenir se joue aussi dans les villes, dans notre capacité à transformer nos pôles urbains en espaces plus écologiques et plus verts.
Et les enjeux sont rien moins que cruciaux.

Car le réchauffement climatique menace particulièrement nos agglomérations qui risquent de se transformer en véritables îlots de chaleur avec des perspectives absolument effarantes.

Qualité de l’air déplorable, maladies chroniques, nuits étouffantes…

En raison de leur densification, les températures dans les villes ont tendance à être plus élevées qu’à la campagne. Et ces variations sont principalement liées au manque de végétation. 
Dès lors, le développement d’espaces verts permet de rafraîchir les températures et, peut-être d’échapper aux insupportables étés caniculaires que nous prédisent les experts du climat.

Donc, ce n’est déjà pas rien.

Les bienfaits des arbres dans la ville
(Parc du château du Grand-Bigard -Bruxelles)
Crédit : Stéphane Mignon – Creative Common

Cette ambition qui doit être la nôtre, faire de nos villes des jardins, implique de se mobiliser dans plusieurs directions : l’écoconstruction, bien sûr, mais aussi l’agriculture urbaine et, plus largement, le développement durable et étendu de la nature dans nos rues, nos parcs et nos jardins.

Et qui dit nature en ville dit les arbres.
Évidemment.

Refuges pour la biodiversité, fournisseurs d’ombre et de fraîcheur, capteurs de CO2… les arbres occupent une place absolument centrale dans la ville verte de demain.

C’est donc un vrai sujet.

Les arbres dans les villes font partie de notre avenir, nous devons donc en prendre soin.

Alors, pour nous en parler, nous avons rencontré Murielle Eyletters, experte en arboriculture urbaine et qui dirige le bureau d’études Aliwen spécialisé dans le diagnostic des arbres en ville.

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen

Médecin des arbres

Le métier de Murielle Eyletters c’est de diagnostiquer l’état de santé des arbres dans les villes pour fournir des prescriptions pour leur entretien.
Mais ce n’est pas tout.

Elle intervient aussi bien en amont, en accompagnement des projets paysagers ou urbanistiques, pour recommander les bonnes essences aux bons endroits, les bonnes dispositions à prendre et les bons emplacements pour garantir leur épanouissement et leur longévité.

« En fait, après mon doctorat à l’ULB dans le domaine de la physiologie végétale et des maladies des arbres en particulier, je voulais vraiment proposer ces solutions de diagnostic de santé pour les villes et les communes mais aussi pour monsieur et madame tout-le-monde.

Je me suis donc lancée avec le soutien de l’université et, avec le temps, nous avons élargi nos expertises pour intervenir sur des projets d’aménagements paysagers aux côtés d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes pour la partie expertise agronomique. 

Et là, effectivement, on réalise les diagnostics des arbres qui sont en place pour identifier ceux qui sont sains et qu’on va pouvoir conserver mais aussi ceux qu’on ne va pas pouvoir conserver parce qu’ils sont malades ou que leur espérance de vie est très courte. »

« Notre adage, c’est ‘le bon arbre au bon endroit’.
C’est essentiel de choisir la bonne essence d’arbre pour chaque projet.

Et planter un arbre, ça ne se fait pas comme ça.
Il ne suffit pas de faire un trou et de la planter. Il y a des règles à respecter, notamment au niveau de la qualité de la terre ».

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen
Murielle Eyletters apporte son expertise pour la santé des arbres en ville. Photo : Aliwen

Et, effectivement, c’est un point essentiel, parce qu’en ville, la terre est souvent de bien moins bonne qualité qu’à la campagne ou en forêt.

Ce sont souvent des terres de remblais, qui ont été remaniées et qui sont peu enrichies naturellement.
Il convient donc de travailler cette terre, de l’améliorer pour en faire un milieu de croissance qui soit favorable à la végétation, en général, et aux arbres en particulier.

Et tout cela, c’est l’expertise d’Aliwen.

« Il vaut mieux planter moins mais mieux.
Quand on plante un arbre, c’est pour le voir arriver à maturité, pour que nos enfants en bénéficient à leur tour.
Quand on plante un arbre, c’est pour un siècle ».

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen
Les arbres font partie des plus importants trésors de nos villes.
Les arbres au Parc Elisabeth de Bruxelles
Source : Wikipédia

Ne pas se tromper

Le fait est qu’on ne peut pas planter des arbres comme on plante des salades ou des radis.
Un arbre, on le plante effectivement pour des années, pour des décennies.

On parle donc bien de gestion arboricole des espaces verts pour un véritable développement durable des villes.

« En matière de gestion arboricole, la durabilité se traduit sur deux aspects principaux.

En premier lieu, elle concerne le maintien des arbres existants, les vieux mais aussi les jeunes.
Et, à ce niveau, ce qui est particulièrement important, c’est le soin apporté au moment de tailler les arbres.

Pour les jeunes arbres, par exemple, il faut structurer les branches pour que le tronc se dégage, monte progressivement. Il convient aussi de les tutorer soigneusement pour qu’ils ne bougent pas pendant les premières années pendant qu’ils développent leurs jeunes racines.

Pour les arbres plus âgés, on parle plutôt de taille d’entretien.
Ce sont plutôt des tailles douces qui se pratiquent tous les 10 ans environ pour aider l’arbre à perdre son bois mort et à favoriser les montées de sève.

C’est assez facile à faire mais cela ne se fait surtout pas à la tronçonneuse mais plutôt à l’aide de petites scies qu’on utilise que pour couper les petites branches. Et ce sont des arboristes spécialisés qui doivent effectuer ce travail.

Un arbre, c’est précieux et c’est vivant.
Photo : Aliwen

Et puis, et c’est notre deuxième axe de durabilité, il y a les nouvelles plantations ».

« Et là, tout l’enjeu porte sur la mise en adéquation entre le projet paysager pensé par l’architecte, les espaces disponibles et le choix des essences à planter.

Il faut toujours penser au plan de croissance des arbres pour chaque nouveau projet.
Parce que sinon, on court à l’échec avec pour conséquence une mauvaise intégration du végétal dans le projet ».

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen

Parce que la ville ce n’est pas la forêt

Tout cela est plein de sagesse et de bon sens.

Et cette expertise que Murielle Eyletters a développée est d’autant plus précieuse qu’elle concerne effectivement des biotopes urbains qui sont évidemment très différents des milieux forestiers.

« Bien évidemment.
Tout ce que je vous dis concernant les arbres n’a rien à voir avec la forêt.
Les arbres des forêts on ne les taille pas, on les cultive.

C’est-à-dire que dès qu’ils arrivent à maturité, on les coupe pour les vendre. Il y a donc une valeur marchande du bois par rapport au cubage qu’il représente ».

« En milieu urbain, c’est complètement différent, on parle d’ailleurs de valeur ornementale, esthétique ».

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen

« Et même les espèces sont différentes, vous ne retrouverez pas une forêt de marronniers ou de tilleuls.
Et si les espèces sont différentes, les maladies et les traumatismes vécus par les arbres le sont aussi ».

Une fois que c’est expliqué, c’est évident effectivement.

Le maintien et le développement arboricole dans nos villes ne doit donc pas s’improviser, au risque de commettre des erreurs que l’on risquerait de mettre des années à réparer.

Gaspillage d’argent mais surtout de temps, alors même que la présence, la croissance et l’augmentation du nombre d’arbres en ville devient véritablement essentielle pour anticiper ces menaces climatiques qui pèsent sur nos villes.

Chaque arbre dans la ville est précieux pour faire face au réchauffement climatique.

Pour tous ceux qui aiment les arbres

On l’aura compris, Murielle Eyletters sait de quoi elle parle. Et elle est la bonne personne à solliciter pour toutes celles et ceux qui ont charge des projets urbanistiques ou paysagers.

Et, justement, quels sont les services qu’elle propose et à qui ?

« Quand nous avons commencé, nos services s’adressaient surtout aux villes et aux communes pour lesquelles nous faisions les inventaires et les diagnostics de leurs parcs arboricoles.
C’est ce qu’on appelle le patrimoine arboré d’une commune. »

« On a d’ailleurs développé une plateforme informatisée en ligne sur laquelle on peut établir, suivre et gérer le patrimoine arboré d’une commune.

Chaque arbre a sa fiche d’identité avec son âge, sa date de plantation, son espèce et son suivi sanitaire.
Ce sont des données très importantes pour les communes ».

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen
Les arbres d’Uccle – Avenue Montjoie à Bruxelles
Source : Wikipédia

« Et puis, avec le temps, nous avons développé aussi nos services vers le secteur privé, en particulier vers les promoteurs, les architectes et les paysagistes que nous accompagnons pour leurs projets.

Et, enfin, il y a les particuliers qui ont parfois juste quelques arbres dans leur jardin, et parfois même un seul, et qui veulent vraiment préserver ce côté boisé de leur jardin. Et c’est particulièrement vrai depuis le confinement ».

Et le fait est que ça marche plutôt bien pour Aliwen qui intervient aujourd’hui dans toute la Belgique mais aussi en France et même à Marrakech et à Dubaï (où, on s’en doute, les problématiques ne sont pas les mêmes que chez nous).


Prise de conscience

Et ce que Murielle a constaté c’est que le sujet des arbres dans la ville, et de leur valeur, est pris de plus en plus au sérieux aujourd’hui.
Et, évidemment, c’est tant mieux.

Cela tient notamment au fait que les communes ont évolué sur le sujet, avec pour conséquence le fait que l’octroi de certains permis de construire nécessitent de prendre en compte la gestion des arbres dans les projets de construction ou d’urbanisme.

« Clairement.
Aujourd’hui, beaucoup de permis de construire sont refusés parce qu’ils ne tiennent pas compte des arbres qui sont sur la parcelle ».

« Et donc les promoteurs immobiliers et les architectes, notamment avec l’aide d’organisations comme le cluster ecobuild.brussels, ont compris qu’ils devaient démontrer leur prise de conscience de la valeur écologique d’un terrain, quel que soit le projet ».

Murielle Eyletters, Médecin des arbres – Aliwen

« Évidemment, on est obligés parfois de sacrifier certains arbres qui ne peuvent pas être préservés.
Mais, dans ce cas, notre mission consiste à identifier les arbres qui doivent être sauvegardés en priorité (au regard de la biodiversité notamment) et, quand ce n’est pas possible, à proposer des solutions de compensation, notamment en calculant la valeur carbone des arbres qui seront retirés ».


Respect du vivant

En conclusion, ce que Murielle Eyletters a tenu à nous dire, c’est l’importance de considérer les arbres pour ce qu’ils sont, des êtres vivants indispensables aux écosystèmes et à notre bien-être.

« C’est vrai que j’ai constaté, et surtout depuis le confinement, que les gens observent les arbres différemment.
Et donc l’étape suivante, c’est de les considérer comme des êtres vivants et plus simplement comme du mobilier urbain.

Souvent, dans les conflits de voisinage ou sur certains projets, les arbres sont pris en otage.
On aime les arbres, mais pas celui qui fait de l’ombre, pas celui qui est devant son garage… Donc, au-delà de l’observation de l’arbre, il faut encore faire le pas suivant, lui apporter une réelle considération.

Et aussi pour nos enfants, bien sûr, parce qu’il ne faut jamais l’oublier, c’est eux aussi qui en profiteront ».

Merci, Murielle.
C’est promis, on ne l’oubliera pas.
N’est-ce pas ?

Les arbres sont vivants et ce sont aussi d’indispensables écosystèmes pour la biodiversité. ne l’oublions pas.
photo : Pixnio

Cet article a été réalisé en partenariat
avec hub.brussels, l’agence bruxelloise des entreprises.


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