L’entreprenariat féminin est-il plus durable ? Plus vertueux ? Et si oui, pourquoi ?
Et quelles sont ses spécificités ?
Et l’écoféminisme dans tout ça ?
Le souci avec ce genre de sujets, c’est qu’on risque vite de sombrer dans les clichés de genre, d’opposer les méchants suppôts du patriarcat mondial aux gentilles amazones de l’entreprenariat durable.
Ce qui serait évidemment non seulement stupide mais aussi contre-productif.
Malgré tout, c’est quand même un vrai sujet.
Parce que quand on parle de transition et de critique du système capitaliste productiviste dominant, on parle de fait de remise en cause du modèle patriarcal.
Et quand on parle de remise en cause du modèle patriarcal dominant, on parle d’écoféminisme.
Et, enfin, quand on parle de modèle économique productif alternatif, on parle notamment d’entreprenariat durable, de création de valeur, de produits et de services.
Du coup, tout cela est, sans doute, un peu lié.
Et, parce que c’est vraiment le genre de sujets qui nous intéresse (surtout depuis notre rencontre avec Florent Losson de Groupe One pour l’article « La transition expliquée à ma mère »), on a vraiment voulu partager avec vous les fruits de nos réflexions, de nos recherches et des échanges que nous avons eus sur le sujet.
Nous avons ainsi rencontré des expertes des questions d’écoféminisme (Caroline Lesire et Céline Charvériat) ainsi que des entrepreneuses bruxelloises (Murielle Eyletters d’Aliwen, Élise Boon de Fais-Le Toi-Même, et Virginie de Selliers de Bulkbar).
Cet article ne reflète pas forcément leurs points de vue mais il se nourrit de leurs témoignages.
Et, pourquoi pas, de vos commentaires qui sont évidemment les bienvenus (tout en bas de l’article).
Cet article est le premier d’une série en 3 épisodes.
Les deux suivants sont consacrés à l’écoféminisme et à l’entreprenariat féminin.
De l’usure du modèle patriarcal
Un constat tout d’abord : notre système économique actuel, en dépit des nombreux bienfaits qu’il a pu nous apporter, est aujourd’hui clairement obsolète. Périmé. Dangereux. Toxique.
Fondé sur l’exploitation systématique des ressources naturelles et sur une culture dominante de rentabilité financière comme valeur ultime, il nous conduit aujourd’hui droit dans le mur.
C’est clairement ce que nous dit (une fois de plus) le dernier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat) de février 2022 qui décrit l’ampleur des catastrophes qui se dressent devant nous si nous ne changeons pas radicalement et rapidement les fondamentaux de notre système économique et productif.
« Le PIB, l’économie, la compétitivité guident les prises de décisions.
Alain Henry, physicien et économiste au Bureau fédéral du Plan (Source : RTBF)
Nous le savons toutes et tous, les conséquences de ce modèle sont dramatiques ».
Mais en quoi ce modèle est-il patriarcal ?
Bonne question évidemment.
Quelques précisions, tout d’abord.
Quand on parle de modèle patriarcal, on parle plutôt d’un modèle masculin, blanc, occidental et d’inspiration judéo-chrétienne.
Masculin d’abord
Le modèle patriarcal a un lien quasi-organique avec la masculinité en ce qu’il se fonde sur des mécanismes de compétition qui, dans le règne animal, sont très majoritairement descriptifs des fonctionnements de nombreuses sociétés d’espèces mammifères au sein desquelles la hiérarchie et le pouvoir se gère par la compétition, le lutte et la domination entre mâles.
Dans nombre d’espèces de mammifères, le mâle le plus fort, le plus dominateur, le plus hargneux est celui qui dirige.
Attention.
Nous ne disons pas que l’homme est un animal comme les autres, esclave de ses instincts, et que la lutte, la guerre et la compétition sont justifiées par l’état de nature.
Nous pensons juste que nous ne pouvons pas nier les atavismes primaux et des millions d’années d’évolution dans nos fonctionnements de genre. Il ne s’agit pas de les accepter (mais souvent, au contraire, de les dépasser) mais bien d’en avoir conscience et de les comprendre.
Enfin, il est évident que, façonnées depuis des millénaires par des élites essentiellement masculines, la grande majorité des civilisations ancestrales a encouragé, soutenu et, souvent, divinisé ces notions viriles et machistes de domination, de lutte et de supériorité qui sont en partie issues de notre héritage biologique.
Blanc et occidental
Depuis la colonisation et l’ère industrielle, nous vivons dans un monde façonné par l’homme blanc.
Les frontières, les systèmes juridiques dominants, les mécanismes économiques, la culture, les modèles politiques et sociaux… dans nombre de ces domaines, nous vivons dans un monde et sur des paradigmes imposés au reste du monde par l’homme blanc occidental (ce ne fut d’ailleurs pas toujours le cas dans l’Histoire et certains feraient bien de s’en souvenir).
Il ne s’agit pas de faire de la critique occidentaliste systématique matinée de tiers-mondisme béat mais simplement de souligner un état des lieux. Il n’est d’ailleurs pas du tout certain que si le monde d’aujourd’hui avait été façonné par d’autres civilisations, il s’en porterait forcément mieux.
Il n’en reste pas moins que c’est un état de fait aujourd’hui.
D’inspiration judéo-chrétienne
Sujet évidemment assez sensible.
Mais quand on veut essayer de changer les choses, il faut d’abord tenter de les comprendre.
D’où nous vient cette irrationnelle pulsion collective à détruire notre monde ?
Pourquoi détruisons-nous sans vergogne notre patrimoine le plus précieux ?
En partie, semble-t-il, à cause de notre héritage religieux. C’est ce que mettent en évidence, depuis plus d’un demi-siècle, une série d’analyses et d’études tout à fait sérieuses.
C’est ainsi qu’en mars 1967, l’historien américain Lynn Townsend White (1907-1987), lui-même presbytérien, publie dans la grande revue américaine Science l’article « Les racines historiques de notre crise écologique », ouvrant ainsi une controverse encore très vive aujourd’hui (Source : Le Monde).
Dans cet écrit, ce médiéviste spécialisé dans l’histoire des techniques défend la théorie selon laquelle la crise écologique a été rendue possible par l’émergence, au cours du Moyen Age européen, d’une « matrice chrétienne » sur laquelle s’est bâtie toute notre modernité, et en particulier la science, qui a offert à l’Europe sa supériorité technique sur le reste du monde et créé un rapport « despotique » de l’homme à la nature fait d’exploitation et de brutalité.
Cette théorie, qui déclenchera « une querelle philosophique, historique et théologique d’une intensité inédite » est, en particulier, fondée sur l’un des textes les plus fondamentaux de la Genèse dans l’Ancien Testament (socle des trois monothéismes, judaïsme, christianisme et islam) qui place l’homme au-dessus de la nature.
Il y est, en effet, écrit que Dieu, après avoir « créé l’homme à son image » lui dit :
“Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la Terre et soumettez-la.
La Genèse 1:28
Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la Terre “.
Tout est dit.
Le patriarcat c’est çà
Il est évidemment très difficile quand on vit et quand on pense dans un système culturel donné de s’en extraire, de créer la distance et le recul critique pour en prendre conscience, l’analyser et le critiquer. On est bien d’accord.
Du coup, quand on parle de modèle culturel patriarcal, on parle de quoi ?
Eh bien, on parle, par exemple de ça :
Nous dominons la nature et ses ressources nous appartiennent.
Nous sommes blancs et judéo-chrétiens et, par principe, nous avons raison sur tout.
Nous devons prendre des parts de marché pour gagner plus d’argent et posséder plus de choses.
Le succès se mesure à l’argent qu’on gagne et à la place élevée qu’on occupe dans la pyramide sociale.
Les garçons sont plus combatifs que les filles.
Le papa est le chef de famille et c’est lui qui ramène l’argent à la maison.
La grande majorité des postes de direction sont occupés par des hommes blancs et ce n’est pas vraiment un problème.
Il est normal que quand une femme a des enfants, elle reste à la maison.
Voilà.
Lorsqu’on parle du système patriarcal dominant, on parle de cela.
Petite remarque au passage : Il ne s’agit évidemment pas ici d’une critique de la masculinité, ce serait ridicule.
Mais plutôt de penser et d’analyser nos identités de genre par rapport à des constructions sociales et culturelles, et à leurs conséquences sur nos comportements individuels et collectifs.
En tout cas, une chose est certaine : entre concurrence effrénée et surexploitation des ressources, le modèle économique actuel dominant demeure encore l’expression de cette culture patriarcal dominante qu’il convient de faire évoluer.
Dans notre prochain épisode :
Est-ce que l’écoféminisme est une réponse ?
Crédit / Source Image à la Une : Studio Pluche
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