Grande enseigne en action

L’économie circulaire aujourd’hui, c’est quand même surtout des petites entreprises hyper-créatives et dynamiques mais qui, du fait même de leur taille modeste, n’ont qu’un impact plutôt mesuré sur les volumes de déchets en circulation.

Cette communauté de petites entreprises fait clairement figure d’avant-garde mais cette avant-garde pèse encore relativement peu.

Dès lors, l’un des gros enjeux pour une économie circulaire qui pèse vraiment, c’est clairement le passage des grandes entreprises vers ce nouveau modèle beaucoup moins gourmand en ressources naturelles.

Et là, globalement, le compte n’y est pas.

À part, peut-être chez Decathlon.

L’enseigne, leader sur le marché des articles sportifs en Europe, s’illustre en effet par ses nombreuses initiatives en la matière.

Mais quels sont exactement ces projets ?
Comment ça marche ?
Et surtout, comment l’entreprise a-t-elle géré cette mutation de son modèle de production / vente ?

Ce sont ces questions qu’on a posées à Marguerite Beauduin qui est chargée de différents projets circulaires chez Decathlon Belgique (Circular Bike et End of Life).


PAS MAL DE PROJETS INTÉRESSANTS

Clairement, tout n’est pas complètement rose au pays de Decathlon. Une part importante de la production est encore réalisée dans des pays à bas coûts de main-d’oeuvre (notamment en Chine) avec les conséquences qu’on imagine au niveau social et environnemental.
Cela étant, la marque s’illustre depuis plusieurs années par sa volonté de transparence sur ses filières de fabrication et de suivi social de ses fournisseurs, et aussi par le rapatriement d’une partie de ses filières de production en Europe.

Mais, in fine, même si ces questions sont évidemment essentielles pour sa crédibilité, ce qui nous intéresse ici ce sont les projets circulaires de l’enseigne fondée dans la région de Lille.
Et, en la matière, il se fait des choses intéressantes. Explications par Marguerite.

« Le fait est que, chez Decathlon, nous voulons vraiment nous positionner de plus en plus comme une entreprise concernée et engagée en termes de responsabilité et de durabilité.
C’est aujourd’hui un axe stratégique pour nous.

C’est vrai qu’il y a encore du chemin à faire mais différentes actions intéressantes ont été mises en place en matière de durabilité et d’économie circulaire, souvent d’ailleurs à l’initiative des collaborateurs, pour inspirer des changements de comportement en offrant des nouveaux business modèles.

En termes de durabilité, un vrai travail est notamment mené sur les questions de consommation énergétique, de gestion de ses déchets et de mobilité des collaborateurs ».

Une communication fondée en grande partie sur les enjeux environnementaux.

Reconnaissons-le, tels qu’ils sont présentés, les engagements de la marque paraissent à la fois clairs, objectivés, transparents et sérieusement documentés.

Et, en matière de circularité, le domaine qui nous intéresse, on peut noter une réelle compréhension des enjeux et des concepts ainsi que des initiatives tout à fait intéressantes.

« En termes d’économie circulaire et économie de la fonctionnalité, il y a plusieurs projets qui ont été lancés ces derniers mois, notamment un système d’abonnement pour l’accès au matériel sportif, de location de certains produits et aussi des investissements réalisés pour optimiser la réparabilité et l’écodesign des produits ».

« Un de nos principaux projets circulaires, c’est le Second Life.
Le principe, en fait, il est très simple : pour prolonger la vie des équipements sportifs, on a mis en place une offre de seconde main de nos articles de sport, qui inclut bien sûr la reprise et la gestion des retours, les réparations, le reconditionnement, la vente à prix réduit de produits usagés et de nouvelles garanties ».

Marguerite Beauduin, responsable de projets circulaires chez Decathlon Belgique

COMMENT ÇA MARCHE

L’idée n’est certes pas révolutionnaire, reconnaissons-le. Mais, compte tenu de la taille de l’entreprise, on imagine bien qu’un tel projet a dû nécessiter des ajustements complexes et importants du système de gestion de ces produits.
On ne fait pas bouger Decathlon comme on fait bouger une boutique de quartier.

Et le fait est qu’aujourd’hui, la mécanique semble bien huilée.

Sur une page dédiée de son site Web, Decathlon propose la reprise et le rachat de produits sportifs (pas uniquement de sa marque d’ailleurs).
Un simulateur permet d’estimer ce prix de rachat qui est confirmé lorsque le produit est amené en boutique et le client se fait payer en bons d’achat du magasin.

Déjà, un bon plan pour se débarrasser des vélos d’enfants qui traînent à la cave et des bancs de musculation qui prennent la poussière.

Des vélos sont également rachetés directement en B2B, auprès de sociétés de leasing vélos ou de distributeurs.

Et pour ceux qui souhaitent acheter ces produits, c’est tout aussi simple.
Un site de vente en ligne dédié à ces produits de seconde main a été mis en place sur le site Decathlon Belgique qui propose déjà plus de 500 produits, avec une belle place accordée aux vélos et aux équipements de sports d’hiver (assez logique).

Les produits rachetés en magasin se retrouvent aussi très rapidement dans les rayons.
Une grande action de ‘buy back’ va d’ailleurs être lancée d’ici quelques semaines pour constituer un stock de produits seconde main qui seront revendus lors du prochain ‘B(l)ack friday’.

« Sur la boutique Second Life, tous les produits qui sont remis en vente ont fait l’objet de contrôles de sécurité.
ils sont réparés, nettoyés et reconditionnés.

Puis ils sont mis en vente en ligne et en magasin, avec des garanties qui sont aussi intéressantes que pour les produits neufs, avec la même possibilité de les retourner ».

Marguerite Beauduin, responsable de projets circulaires chez Decathlon Belgique

« Donc on peut rendre son produit s’il ne convient pas. Ainsi, ces produits peuvent avoir une deuxième, une troisième, une quatrième vie.
Et quand le produit arrive vraiment en fin de vie, qu’il n’est plus utilisable, réparable ou vendable, nous nous assurons de la réutilisation et la revalorisation de ses pièces et des matériaux. Ça c’est pour le projet ‘End of Life’.
Des stocks de produits fin de vie sont constitués afin de lancer et permettre au groupe Decathlon de faire de la R&D, dans l’objectif de réinjecter ces matières premières dans ses filières de production et ainsi diminuer l’impact sur les ressources naturelles ».

Indéniablement, le projet est assez crédible et il a le mérite d’être opérationnel. Le système est en place.


POUR QUELS RÉSULTATS

Les impacts détaillés du système ne sont pas encore connus mais certains chiffres sont tout à fait éloquents.
Ainsi, à l’occasion de l’opération Back Friday de Decathlon (pour faire le pendant à cette frénésie absurde de consommation qu’est le Black Friday), l’entreprise a annoncé plus de 10 000 produits repris correspondant à une estimation de 196.738 kg de CO2 épargnés.

Ne boudons pas nos bons sentiments, c’est déjà franchement pas mal.

On est sans doute encore loin du nombre de produits neufs fabriqués en Chine vendus sur la même période, mais c’est un beau lancement qui, s’il se poursuit avec les ambitions affichées, pourrait vraiment produire des impacts remarquables.


GENÈSE ET DÉFIS

Quoi qu’il en soit, le plus intéressant selon nous dans ce projet, c’est le comment.

Comment Decathlon a initié et mis en œuvre de tels projets ?
Quels ont été les dynamiques de changement mis en œuvre dans le système Decathlon ?
Et, surtout (l’essentiel), quelles leçons en tirer pour encourager des initiatives comparables chez d’autres grandes enseignes ?

Et là, l’histoire de Marguerite (qui a vécu tout le projet de l’intérieur) est plus qu’intéressante.
Tu nous racontes ?

« C’est une histoire qui est liée à la crise sanitaire et aussi à une réelle prise de conscience de la crise écologique qu’on vit aujourd’hui.
Le fait est que le confinement a énormément accéléré les choses. Pour toute une série de raisons, les gens se sont massivement tournés vers des solutions de mobilité douce, avec pour conséquence une demande énorme de vélos qui a conduit à une véritable pénurie généralisée.
Pour y faire face et répondre à cette demande, l’idée nous est venue de récupérer des vélos inutilisés et de les revendre ».

« On a donc fait un mailing à une centaine de clients pour leur proposer de reprendre leurs vieux vélos pour les réparer et les revendre et ça a super bien fonctionné.

Du coup, on a élargi le concept à tous les articles sportifs, quels que soient la marque et l’état des produits ».

Marguerite Beauduin, responsable de projets circulaires chez Decathlon Belgique

Comme quoi, et on s’en est rendu compte sur d’autres projets, la crise sanitaire et le confinement ont aussi eu des conséquences positives, en donnant à celles et ceux qui en avaient la motivation (comme Marguerite et ses collègues) de réfléchir et de tester de nouvelles solutions plus durables.


ENSEIGNEMENTS À PARTAGER

La première leçon qu’on peut tirer de ce projet, c’est que c’est possible, qu’on a beau être une enseigne de taille mondiale, on peut s’aventurer avec une certaine efficacité sur la voie de l’économie circulaire.

À bon entendeur…

Maintenant, ce qu’on a voulu savoir, c’est quels ont été les facteurs positifs qui ont fait que ça a marché, quels sont les enseignements à tirer de cette expérimentation plutôt réussie.
Marguerite, nous t’écoutons.

« Je crois que le plus important, ce qui a vraiment permis à ce projet de voir le jour, c’est le modèle d’entreprise de Decathlon.
Depuis plusieurs années, nous investissons le concept d’entreprise libérée dans lequel on n’est plus sur un management à l’ancienne où des décisions se prennent uniquement en haut de la hiérarchie mais plutôt sur une autonomie maximale pour les collaborateurs, le renforcement des compétences, la confiance a priori.
Et donc, ce modèle d’entreprise libérée a permis que des initiatives soient prises par les équipes qui sont sur le terrain, qui sont dans l’entrepôt, qui sont auprès des clients ».

« Ce modèle d’entreprise libérée favorise vraiment l’innovation. I
l y a une très grande réceptivité à changer, à être disruptif, à faire des erreurs aussi, et donc à tester de nouveaux modèles, quitte à ce que ça ne fonctionne pas.
Mais il a aussi permis aux collaborateurs de l’entreprise de prouver que d’autres modèles étaient possibles ».

Marguerite Beauduin, responsable de projets circulaires chez Decathlon Belgique

« Et donc, le projet a été assez vite validé et on a rapidement bénéficié de l’engagement d’un grand nombre de collaborateurs et le soutien de notre enseigne, et, à tous les niveaux, que ce soit dans les magasins, que ce soit dans l’online, le digital, la communication.
Des rôles ont été créés, des personnes se sont engagées ».

« Il faut dire que ça intéresse vraiment un grand nombre des collaborateurs de participer à de tels projets, et ça leur donne une certaine fierté aussi.
Et être fier de travailler pour une entreprise qui essaie d’être vertueuse et qui ose innover et changer de modèle, c’est super important ».

Marguerite Beauduin, responsable de projets circulaires chez Decathlon Belgique

On comprend l’idée et on adhère évidemment.
Toutefois, on imagine bien que devenir une « entreprise libérée », ça ne se fait pas en claquant des doigts.
Du coup, on a demandé à Marguerite quels étaient les points clefs pour y arriver.

« L’idée c’est de donner une voix à tous les collaborateurs en privilégiant notamment les méthodes d’intelligence collective qui permettent d’identifier et de mobiliser les motivations et les talents de chacun. Ce qui implique évidemment de se remettre en question.
Plus concrètement, cette réorganisation chez Decathlon date de 2014 et elle s’inscrit dans le cadre des travaux sur le management menés par Frédéric Laloux, à la suite de quoi ont été mis en place des formations au management, au leadership, à la transformation, à l’intelligence collective, et même au développement personnel.
Et, franchement, aujourd’hui, ce collectif fonctionne plutôt bien chez Decathlon.

On fonctionne par réseau, on cumule des rôles plutôt que des titres, en fonction de nos talents et nos envies, on partage, on se rencontre, on construit et on décide ensemble, sans forcément devoir aller chercher des validations auprès de la direction ».


ÇA NE MARCHE QU’ENSEMBLE

On l’aura compris, innovation, créativité et durabilité sont profondément liées.
Mais ce que Marguerite a tenu à souligner, c’est que fondamentalement cela ne fonctionne que si les clients adhèrent.
Là, on parle de nous.

Donc, si on adhère, on revend son vieux matériel de sport à Decathlon et, si on a des achats à faire, on privilégie le Second Life (ou tout autre système de seconde main évidemment).

Et puis, si on travaille dans une grande entreprise, on peut sans doute trouver ici des sources d’inspiration.
À suivre, en tout cas.


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