Grands Cœurs

Ce qui est vraiment génial avec l’économie circulaire (et, plus généralement, avec l’économie de la vertu, comme on aime bien l’appeler), c’est sa faculté à mêler dynamisme entrepreneurial, plaisir et engagement.

On bosse (beaucoup), on s’amuse (souvent) et on a le cœur pur et léger parce qu’on participe au Grand Bien Commun, cet élan collectif pour une humanité et un monde plus ouverts, respectueux, préservés et positifs.
On se lève le matin pour de bonnes journées de boulot et on se couche le soir avec le sentiment de faire les choses bien.


Et dans cette grande famille, nous vous présentons aujourd’hui une bière.
Je savais que ça allait vous plaire. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre…

Mais pas n’importe laquelle, la bière 100PAP, la Bière Solidaire.

Alors, c’est quoi une bière solidaire ?
Non, ce n’est pas seulement une bière qu’on boit avec de nombreux potes. Enfin, pas seulement.
Et, non, ce n’est pas non plus la dernière bière dans le frigo.
Ça, c’est la bière solitaire…

Eh bien, pour répondre à cette question, nous avons demandé à Nathalie et Paul qui font partie de l’équipe qui gère ce projet magnifique.


Santé, Solidarité

Du coup, Nathalie et Paul, qu’est-ce que c’est que cette bière ?
Et qu’est-ce qu’elle a de spécial ?

« Par rapport à toutes les autres bières, ce qu’elle a de différent, c’est que celle-ci, elle est solidaire.
Ça veut dire que tous les bénéfices du projet sont versés à la cause.
Et la cause, c’est le droit au logement pour tout le monde et, en l’occurrence ici, pour les personnes sans papiers.

Parce que si tu n’as pas de papiers, trouver un propriétaire qui va te louer un logement, ce n’est pas que c’est compliqué, c’est juste pas possible ».

Du coup, pour chaque bière qu’on achète, on vous soutient dans cette cause, c’est bien ça ?

« Exactement. D’où le nom de la bière « 100PAP » et la carte d’identité sur l’étiquette.
Avec nos partenaires, on fabrique et on vend cette bière et tous les bénéfices vont au projet.

100PAP, la bière solidaire
Pour aider les sans-papiers

En chiffres, c’est clair :

  • 20 % des bénéfices servent à faire tourner la boutique, payer le brasseur, payer les frais de stockage, de livraison et tous les frais qui vont avec, la certification bio et tutti quanti.
  • 30 % vont dans les aides directes aux collectifs de sans-papiers pour financer des occupations à court terme, prendre en charge des frais de loyers, de charges, d’assurances, de garanties locatives ou d’éventuels travaux de rénovation. On a déjà donné plus de 20.000 € en aides directes depuis qu’on existe.
  • 50 % enfin sont consacrés à de l’épargne à long terme pour financer l’accès à un ou plusieurs bâtiments de manière pérenne et non précaire.
    Ça c’est vraiment notre grand projet, acquérir un bâtiment qu’on pourra mettre durablement à disposition des sans-papiers. Et, pour le moment, il y a plus ou moins 42.000 € sur ce compte épargne ».

Une sacrée histoire, n’est-ce pas ?
Et un véritable engagement militant.
Parce que ce dont on parle, c’est des conditions de vie de milliers de femmes, d’hommes et de familles sans logement.
Un vrai sujet.


Boire pour la cause

Du militantisme social à la fabrication de bière, il y a quand même un pas.
Original et créatif, on ne peut pas dire.

Mais comment une idée pareille a pu vous venir à l’esprit ?

« Tout est né des évènements au parc Maximilien (où de nombreux demandeurs d’asile et réfugiés s’étaient rassemblés avant d’être évacués par la police – NDLR).
Pour nous, ce n’était simplement pas possible !
Et donc, les premiers membres de l’équipe ont fait une réunion pour essayer de trouver une solution ».

« Et autour de la table, ils avaient soif et il n’y avait rien à boire.
Alors, il y en a un qui a dit :
‘Quelqu’un a pensé à prendre de la bière ?’ »

« Non, personne ?
Ah, mais c’est ça qu’il faudrait faire, une bière !
Et donc voilà, de là est partie l’idée de cette bière solidaire.
C’est pour ça que je t’ai dit au début : la clé du truc c’est que tu bois pour une cause.

Tu as vu tous les gens qui aiment la bière et qui l’achètent n’importe où, à de gros industriels. Et c’est ça qu’on a changé.
C’est ça qui est nouveau ».


Pour et avec les sans-papiers

Fondamentalement, avant d’être des brasseurs, les bénévoles du collectif hébergé par l’asbl Bruxelles Initiatives (BXI) sont des militants pour le droit au logement des sans-papiers.

Sur Zin TV, un témoignage à regarder

Et, là aussi, la méthode est intéressante parce que l’équipe 100PAP travaille en cocréation efficace avec les collectifs de sans-papiers de Belgique avec lesquels des réunions sont organisés régulièrement (au moins une fois par trimestre) pour identifier les besoins très concrets et élaborer ensemble les réponses et solutions à fournir.

C’est comme ça que ça marche, Nathalie et Paul ?

« Tout à fait. On travaille avec des collectifs de personnes sans papiers, pas avec des sans-papiers individuellement.
On est, par exemple, en relations étroites avec un collectif d’Afghans et aussi avec la Voix des Sans-Papiers (VSP), un collectif bien organisé qui gère des occupations précaires.
On est en contact avec eux et ils nous font parvenir leurs petites demandes, ils connaissent le montant de l’enveloppe disponible et savent comment on fonctionne.
Et, nous on les aide pour les factures de gaz, d’électricité, de chauffage, les réparations sanitaires, les cautions, les assurances, les déménagements… donc c’est vraiment de l’aide très pratique au logement.
Et c’est parfaitement transparent. On a des réunions avec eux tous les deux ou trois mois ».

Efficace, pragmatique et utile.

We are Belgium too

Et c’est une vraie bière bruxelloise

Evidemment, la question que tous les amateurs se posent (moi le premier) est de savoir comment des militants bénévoles au droit au logement peuvent produire une bonne bière.
Parce qu’on est d’accord, une bonne bière, ça ne se fabrique pas comme ça.
On est en Belgique et les standards sont élevés.

Du coup, cette bière 100PAP ? Elle vient d’où ?

« Ça aussi, c’est une sacrée histoire.
Historiquement, une fois que l’idée a été adoptée, les membres de l’équipe sont allées voir Antoine de J’irais brasser chez vous’, des passionnés de bière et bons brasseurs, qui leur a dit :
Bah moi, j’en ai une de bière pour vous si elle vous plaît. Elle est là, on met les étiquettes dessus et voilà quoi’.
Ils ont fait ça, ils ont pris cette bière, ils ont collé eux-mêmes mis les étiquettes dessus. Et voilà.

Et ce n’est que le début de l’histoire…

« Effectivement, parce qu’Antoine, de ‘J’irais brasser chez vous’, travaillait avec la brasserie 3F à Frameries.
On les a contactés et on a travaillé en direct avec eux un moment. Mais, en fait, ce n’était pas idéal pour nous.
Ils ne faisaient pas de bière bio, ils ne proposaient pas de systèmes de consigne pour les bouteilles et le brasseur nous imposait 8.000 litres de production minimum.

Et là-dessus, la crise COVID.
D’un seul coup, on s’est retrouvés avec 80 % de nos partenaires fermés, les cafés, les lieux culturels, tous ces lieux alternatifs…

Tous nos clients étaient fermés, donc on ne pouvait pas produire et écouler 8.000 litres.

« On a profité de la crise COVID pour rebondir et pour faire un appel d’offres pour une bière bio et en bouteilles consignées.
Et quand la Brasserie de la Senne a répondu…
c’était déjà presque gagné d’avance ».

« D’autant que l’autre candidat était situé beaucoup plus loin.
Alors on a choisi la Brasserie de la Senne.
On leur a donné la recette originale de 3F, et maintenant on a notre bière qui est bio, en bouteille consignée et fabriquée à Bruxelles ».

Il n’y a pas à dire, c’est beau.
Source : Brasserie de la Senne

Du coup, maintenant, vous vous demandez où on peut la trouver cette fameuse bière solidaire ?

Facile, il y une carte ici.
Et un Webshop là.

Et, bien sûr aussi, dans la plupart des bars un peu sérieux de Bruxelles.
Source : Facebook 100PAP

Ou alors vous la faites livrer à la maison. Facile.

Et une vraie démarche circulaire

Consignée, locale et bio, c’est déjà pas mal du tout.
Mais, chez 100PAP, ils ne prévoient pas de s’arrêter là.

Sur le sujet, Nathalie Paul ont les idées claires :
« C’est vrai que le projet n’est pas encore 100 % circulaire. Mais en tout cas, il a pour ambition de tendre vers la circularité. Et donc ça, ça se traduit notamment avec l’installation du projet au sein du Circularium depuis septembre dernier (promis on y consacre bientôt un article dans LIVELY – NDLR).

Et donc, pourquoi est-ce que 100PAP actuellement n’est toujours pas à 100 % circulaire ?
Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de volonté ou parce qu’il y a un désintérêt pour les questions d’environnement, au contraire. On a plein d’idées.
Mais, comme je le disais, il n’y a que des bénévoles dans l’équipe, donc des personnes qui ne peuvent pas être là à 100 %.
Et puis aussi, il y a la finalité sociale qui fait que, forcément, faire des changements, transitionner vers la circularité, ça représente des coûts. Il ne faut pas oublier que le but premier du projet, c’est quand même de reverser les fonds aux sans-papiers.

Donc déjà, pour le moment il y a la bouteille qui est consignée. C’est un premier pas vers la circularité.

Cela étant, on a plein de projets.
Il y a notamment la volonté de revaloriser la drêche (les résidus du brassage des céréales) et on en produit énormément. Je pense que pour un hectolitre de bière, on récupère 20 kg de drêche, donc c’est énorme. Et nous, la dernière fois qu’on a produit de la bière c’était 55 hectolitres donc il y a de quoi faire.

Comment valoriser la drêche ?
Il y a plein de possibilités : ça peut être composté, ça peut être transformé en crackers, en pains… Et ça peut aussi servir de nourriture pour les animaux, pour les poules, par exemple.
Et, à part la drêche, il y a aussi la question des bacs qu’on aimerait avoir à l’avenir. En plastique recyclé du coup, pour pouvoir transporter nos bières.
Et ça, c’est aussi un projet qui va vers plus de circularité. Donc il y a plein d’idées au sein du projet. Mais il faut le temps que ça se mette en place ».


Avec la grande famille circulaire bruxelloise

Du coup, on a voulu leur parler de Beerfood, un acteur circulaire bien connu des amateurs, qui justement récupère les grains utilisés pour la fabrication de la bière pour produire de délicieux crackers.
Eat Beer !

Beer Food – Eat Beer !

Mais évidemment, ils connaissaient déjà.

« Beerfood ? On les aime, comme on les aime !
Pour notre anniversaire, on leur a acheté 200 paquets. C’est… c’est génial ce qu’ils font ! On leur en a parlé mais là-aussi, ce n’est pas simple. Il faut une installation spéciale chez le brasseur pour que ça marche… parce qu’en fait, la drèche, elle doit être récupérée dans la journée. En un jour elle est morte. Donc ça doit être fait vite, ça doit être vraiment bien retiré, repris, séché, etc.
Et en plus, il a pas mal de questions administratives à régler pour pouvoir récupérer la drêche à la Brasserie de la Senne et la confier à Beerfood. Et du coup, finalement, on en vient à se demander comment revaloriser notre drêche à nous, celle qui est issue de notre propre bière.
On est vraiment dans toutes ces réflexions aujourd’hui ».

Ça cogite dur chez 100PAP, faut reconnaitre.
Et carrément dans le bon sens.

Parce qu’ils ont aussi pensé aux bacs. Et toujours avec la grande famille circulaire bruxelloise.

« Oui, pour les bacs, on a contacté Bel Albatros, mais là-aussi, c’est assez compliqué. Leur spécialité, ce sont les grandes plaques de plastique recyclé. Et quand on a demandé à Guilain, il nous a dit qu’il fallait compter sur un coût de 10.000 euros environ pour les moules en plastique injecté.
Cela étant, on continue à chercher parce qu’au niveau circularité, ce serait vraiment super. Et ça donnerait aussi une meilleure image de brasseur à ce moment-là ».


Les secrets du faire ensemble

Impressionnante, l’équipe 100PAP, je trouve.
Ils aident les sans-papiers, ils produisent et vendent de la bière, ils développent plein d’initiatives circulaires…

Mais, comment fait-on tout cela quand on est un collectif de bénévoles ?
C’est l’une des grandes questions qu’on aime explorer chez LIVELY, en lien évidemment avec les Biens Communs.

Comment faire pour que ça marche ?
Quels sont les bons trucs pour faire vivre un collectif autour de projets partagés ?

On a demandé à Nathalie et Paul.
Réponses concrètes et éclairantes.
« On a différentes cellules pour les grandes activités du projet, une cellule vente, une cellule finances, une cellule de contact avec les collectifs de sans-papier, une cellule communication, etc. Et on a la chance d’avoir des stagiaires qui nous aident, comme Nathalie notamment.
Et, puis tous les mardis, on se réunit et on décide ensemble. Donc, c’est plutôt de la démocratie horizontale au niveau de l’organisation. Ça prend parfois plus de temps, parce qu’évidemment, il faut débattre, argumenter… La démocratie, c’est quelque chose. Tu as des conflits d’égos, des conflits de personnalités, les intérêts de chacun ne sont pas les mêmes. Certains ont un intérêt manifeste pour les occupations de sans-papiers, certains ont un intérêt manifeste pour la bière, tu vois ? On est une bière solidaire et, en fin de compte, c’est un truc assez dual.
Et quand on se retrouve le mardi, tout le monde argumente et met tout ce qu’il a à dire sur la table et puis on passe au vote, il n’y a pas grand-chose de plus que tu puisses faire.
La clé c’est d’avoir de vraies cellules qui fonctionnent.
Mais voilà, on fait les choses ensemble, en tout cas, on essaye ».

« C’est juste que ça prend deux fois plus de temps.
C’est ça la richesse de la démocratie ».

Dans la foulée, Nathalie et Paul ont relevé un autre point essentiel :
« Et, en fin de compte, je pense que ça fonctionne parce qu’il y a un objectif qui est commun à tous finalement. Il y a des divergences, des désaccords et parfois des conflits. Mais finalement le but, il est commun. On veut aider les personnes sans papier à avoir accès au logement. Et donc, c’est ça qui fait que ça fonctionne.
Et oui, c’est ça, c’est discuter, discuter, discuter et avoir un but commun. S’il n’y avait pas de but commun, je pense qu’il y a des gens qui se détesteraient finalement au sein de l’équipe, tu vois.

« Le fait qu’il y ait ce but en commun, c’est ça qui fait que ça marche entre nous.
Il ne faut pas qu’on oublie que notre objectif, c’est ça, et il faut qu’on l’atteigne ».


Des idées pleins la bouteille

Quel fourmillement d’idées, que de projets !

Et le petit mot de la fin de Nathalie et Paul :

« Ce qu’on voulait dire aussi c’est qu’il y a 150.000 sans-papiers environ en Belgique et, nous, on est peu moins de 500.
Donc 100PAP c’est un peu comme une goutte dans ce grand océan, mais la goutte est belle et on essaye de la faire grossir le plus possible.

Par exemple, je trouve que ça serait vraiment quelque chose de chouette de développer un vrai marché des boissons solidaires. Des trucs que vraiment tout le monde consomme.
Des jus de fruits, pourquoi pas ?

Et puis, j’aimerais bien aussi qu’on aide les SDF,  tu vois.
Mais voilà, c’est la 100PAP, on aide les sans-papiers. »

Et bien, nous est fans !

Bravo, la 100PAP !


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