Cooperative Business

La Grande Transition, ce sont des produits et services circulaires et / ou durables, bien sûr.
Mais pas que.
Ah bon ?

Eh oui, parce qu’avant toute chose, la Grande Transition ce sont des nouveaux modèles économiques et sociaux.
Fini le business à papa avec le patron qui surveille ses employés à la jumelle depuis les tours de sa grande demeure sur la colline.
Ça, c’était le modèle capitaliste des boomers et ça commence à sentir le périmé.

Voyez-vous ça, monsieur Lively.
Alors maintenant, tout le monde est le chef ?

Non, bien sûr. On parle de nouveaux modèles de gouvernance d’entreprise.
Coopérative et participative.
Et, à bien y regarder, ce n’est pas que du bla-bla.

Parce que ça marche.

Et, pour en témoigner, nous avons rencontré Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière.


La Vivrière, coopérative de producteurs et de consomm’acteurs

Petite présentation pour commencer.
Située Rue de la Station à Forest, la société coopérative La Vivrière vend en ligne et dans sa boutique des produits agricoles provenant de producteurs locaux.

Un jour, Aurélie en a eu marre de ne pas trouver la viande et les légumes de la qualité de son enfance.
Et, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Ni une, ni deux, la voilà qui créé cette coopérative.

« C’est ça. Je viens du Charolais en France où nous étions entourés d’éleveurs bovins.
J’ai grandi dans une ferme laitière et, en arrivant en Belgique, j’ai vraiment eu du mal à trouver de la bonne viande à un prix correct et où je savais comment l’animal avait grandi.
Et du coup, ça a commencé comme ça.
D’abord en recherchant de la viande, puis très vite, tout le reste, les laitages, les légumes, etc. ».

« Mon point de départ, c’était de trouver des aliments pour lesquels je voulais disposer de garanties en termes de qualité.
Parce que, vraiment, je ne veux plus rentrer dans les supermarchés ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

Et c’est donc ainsi qu’est née La Vivrière nous la forme de société coopérative. 


Business Model efficace

Le business model est un peu subtil mais il fonctionne plutôt bien.
D’abord, il y a le site de vente en ligne qui, étonnamment, permet un contact direct du consommateur avec le producteur.

« Effectivement.
Nous fonctionnons sur le principe de la précommande parce que je veux absolument éviter les gaspillages alimentaires.

Et donc, les gens commandent en ligne sur notre site directement dans les catalogues des producteurs ».

« Ainsi, chaque jeudi en fin de journée, les producteurs viennent Place St Denis à Forest remettre en direct leurs commandes aux consommateurs ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

« Chaque semaine, on en a environ une trentaine et ceux qui ne peuvent pas venir, les boulangers, par exemple, qui se lèvent tôt, c’est nous qui les représentons ».

On parle bien sûr de vrais producteurs.

Et là, le modèle économique est intéressant, et largement au bénéfice des producteurs.

« Sur cette activité e-commerce, c’est vraiment du direct.
La Vivrière prend une petite commission, assez réduite car on prend peu de risques vu que rien n’est immobilisé de notre côté.

Et le producteur a la plus grosse part du prix de vente.
Avec des marges pour lui qui sont généralement plus élevées qu’auprès d’autres catégories de clients, grossistes ou distributeurs ».

Donc, avec cette formule mixte précommande en ligne et rencontre en direct du consommateur avec le producteur, en définitive, tout le monde est gagnant.
Simple et efficace.

Mais ce qu’a tenu à relever Aurélie, au-delà du côté financier, c’est le gain humain de ce système.
Pour les consommateurs, bien sûr, qui apprennent à connaître ceux qui produisent leur viande et leurs légumes.
Mais aussi pour les producteurs qui voient comment leur travail est perçu et apprécié.

En contact direct avec les productrices et producteurs

« Au début, quand je me suis lancé il y a une dizaine d’années, aller dire à un agriculteur ‘Tu vas vendre sur Internet et tu trouveras pleins de clients à Bruxelles’, ça a été très compliqué. Il a vraiment fallu les convaincre.

Et, pour le producteur, l’autre grand changement par rapport aux circuits traditionnels, ce sont les échelles.
Quand il vient dans le circuit court, ce ne sont pas les mêmes volumes. Mais on a fait ces paris avec eux.

Et au final, le producteur, dans son rendement, il s’y retrouve.
Mais la grande différence, et certains me l’ont dit avec des larmes dans les yeux, c’est qu’ils ont la satisfaction du retour immédiat, d’avoir les consommateurs qui leur disent ‘Ta viande, elle est super bonne ! ’.

Quand on passe comme ça sur les circuits courts, le cheptel n’est pas le même. Ça demande de changer d’échelle et de changer ses pratiques.
C’est un effort pour certains, parce qu’il faut aussi s’occuper de la commercialisation, mais, pour eux, ces retours des clients, c’est une vraie récompense, une vraie satisfaction ! ».

Et puis, bien sûr, il y a la boutique.
Chaleureuse, accessible et bien achalandée, elle propose tous les produits des producteurs soigneusement sélectionnés par Aurélie.

C’est ici, Rue de la Station à Forest

Là, le modèle économique est plus traditionnel, avec les justes arbitrages à trouver pour la gestion des stocks afin d’éviter les invendus. 

« Dans la boutique, évidemment, on ne rencontre pas les producteurs.
Mais on a toutes les garanties d’un commerce de proximité. Et on essaye de proposer un maximum de produits en vrac.

L’idée c’est d’éviter à tout prix le gaspillage et de proposer des prix abordables.
Au niveau des stocks, il faut donc vraiment trouver le juste milieu et des niveaux de vente suffisants pour couvrir nos frais ».

Appétissant, n’est-ce pas ?

Gestion, gouvernance & rentabilité

On l’aura compris, le business model global de La Vivrière est un peu complexe mais parfaitement en phase tant avec les attentes de nombreux consommateurs qu’avec les nouvelles habitudes d’achat. Et surtout, en adéquation avec les valeurs d’Aurélie.

Mais, pour être très honnête, la question qui nous agite, c’est celle la gouvernance de l’entreprise car aujourd’hui La Vivrière et souvent citée en exemple de gouvernance coopérative et participative.
Et cela, c’est quand même assez étonnant.
Suffisamment en tout cas pour qu’on ait eu envie de comprendre comment ça marche et si ça marche vraiment.

Les principes de fonctionnement, pour commencer.
Ainsi que nous l’a expliqué Aurélie et comme c’est présenté sur son site, la coopérative La Vivrière fonctionne suivant les principes suivants :

  1. La société coopérative La Vivrière a comme objet social « le développement durable en général, via, notamment, l’introduction de modes de consommation alternatifs qu’ils soient alimentaires ou non alimentaires ».
  2. Tout le monde peut rejoindre la coopérative en tant que coopérat·eur·rice et participer ainsi aux Assemblées Générales de La Vivrière.
  3. La coopérative est administrée par un Conseil d’Administration composé de trois membres au moins, coopérateurs ou non, nommés par l’Assemblée Générale, et dont au minimum deux tiers sont des coopérateurs garants.
  4. La gestion et le management sont assurés de façon participative avec les salariés.

Bon. Ça ce sont les grands principes.

Et c’est vrai que ce n’est pas hyper-concret.
Alors, avec Aurélie, on a voulu en savoir un peu plus.

Tout d’abord, comment ça se passe avec les coopérateurs ?

« Avec nos coopérateurs, on essaye d’avoir une gouvernance qui fonctionne de manière très ouverte et participative.
Ils participent une fois par an à l’Assemblée Générale mais en fait, on leur communique tous les mois les grands chiffres de l’entreprise, les orientations adoptées et les décisions prises, pour tout ce qui concerne la gestion de la coopérative.

Cela étant, le rôle principal des coopérateurs, il est au niveau de l’Assemblée Générale.
C’est là qu’ils sont invités à donner leur avis sur les questions d’avenir de la coopérative, ce qu’ils imaginent et ce qu’ils voudraient.

Et c’est vrai que c’est quand même très complexe.
Tout le monde ne va évidemment pas dans le même sens avec la même vision pour l’entreprise ».

« Le participatif, c’est du débat mais pas nécessairement du consensus, plutôt de la maturation collective.
On doit se mettre ensemble pour prendre la meilleure décision possible au moment donné.

Ce n’est pas nécessairement la meilleure décision pour toujours, mais on essaie de se mettre ensemble pour trouver les solutions qui répondent le mieux aux valeurs et aux missions que l’entreprise s’était fixées ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

C’est donc ça le truc.
Mais, du coup, ces coopérateurs, c’est qui ?

Esprit coopératif.

« En fait, tout le monde peut devenir coopérateur.
Les producteurs aussi bien que les consommateurs, avec une proportion de dix producteurs et 50 clients qui sont coopérateurs chez nous.
Mais, ni les fournisseurs, ni les clients n’ont l’obligation d’être coopérateurs. Je ne vais jamais demander ‘Tiens, tu veux venir vendre chez moi ou tu veux venir acheter chez moi, tu dois prendre une part dans la coopérative’. Ça, ça ne m’intéresse pas ».

« Moi je pars du principe qu’un bon coopérateur, c’est la personne qui a décidé d’elle-même de rejoindre la coopérative ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

Et puis, on a vu qu’il y a des coopérateurs garants qui, eux, font partie du Conseil d’Administration.

« Absolument. Ce sont ceux qui ont vraiment participé à la fondation de l’entreprise en versant le capital fixe.
Ainsi, dans le Conseil d’Administration, on a ces coopérateurs garants mais aussi un membre qui représente les producteurs, un membre qui représente les clients et un salarié ».

Et ce n’est pas trop compliqué de mobiliser ces coopérateurs ?
« Non, au contraire. Certaines coopératives ont le problème que les gens prennent des parts, mais qu’après ils ne participent pas.
Chez nous, c’est l’inverse, les gens viennent avec des envies vraiment très fortes de participer au niveau de la gouvernance.
C’est plutôt ça que nous devons gérer ».

Collectif, participatif et coopératif. OK.
Mais comment concilier ça avec les contingences de gestion d’une entreprise rentable ?

Parce que c’est quand même aussi ça le défi à relever.

« C’est vrai. Dans une entreprise, même coopérative, il faut que chacun connaisse sa place et tienne bien son rôle.
Et ce n’est pas toujours évident, par exemple si des coopérateurs estiment avoir leurs mots à dire sur tout et notamment au niveau du management des salariés.
Et, en même temps, il est important de ne pas décevoir celles et ceux qui arrivent avec tellement d’envies  ».

« Il y a gouvernance et il y a diriger une entreprise.
Et diriger une entreprise au quotidien, ça signifie encadrer des gens qui sont salariés pour la faire fonctionner.
Et la gouvernance, ce sont des femmes et des hommes qui viennent en réunion apporter leurs visions ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

« Et cette vision, elle va être adéquate ou non par rapport aux visions de l’entreprise qui sont notamment portées par le Conseil d’Administration et les garants.
Et donc, tout ça, c’est une espèce de plat de lasagnes avec toutes ses couches.
Et pour moi, le principe fondamental de ce système, c’est qu’on arrive à une maturation de la réflexion.
Et qu’à la fin, quand on prend une décision, on soit solide et sûr de nous parce qu’on a passé toutes ces couches.
L’Assemblée générale a fait murir l’idée, le Conseil d’Administration la valide et on peut avancer ».

Et pour le management des salariés dans ce système, ça se passe comment ?

« Alors, au niveau des salariés, on est dans un management participatif.
Ils sont six aujourd’hui et l’attribution des tâches se fait aussi de manière participative. Autant que possible en tout cas parce qu’elles sont évidemment attribués en fonction de tout ce qu’il y a à faire. Et le fait est que dans l’alimentation, il y a quand même beaucoup de passages obligés, tout ce qui est normes d’hygiène notamment
Et donc chacun est responsable de différentes tâches décidées aussi collectivement que possible ».

« Et, bien sûr, au centre de tout ça, il y a le gérant qui veille à ce que chacun soit à sa juste place et qui doit trancher sur certaines décisions.
C’est essentiel qu’il y ait quelqu’un à la barre ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

« C’est le gérant, par exemple, qui va décider d’engager des salariés, qui va décider de les garder ou non, qui va gérer certaines problématiques, etc.
Ce ne sont pas des choses qu’on peut faire à soixante dans une réunion.

Parce qu’il ne faut jamais oublier qu’on est un modèle économique qui va créer de l’emploi, qui va générer de la valeur.
Et donc, on est dans l’économie durable, mais on est dans l’économie avant tout ».


S’entourer & Partager

Ces retours d’expérience d’Aurélie sont évidemment très précieux pour celles et ceux qui voudraient mettre en place ce type de gouvernance vertueuse dans leur entreprise.
Ce n’est pas si simple, mais c’est faisable et quand ça marche, ça marche vraiment bien. La Vivrière en est la preuve.

Et, du coup, pour celles et ceux que ce modèle intéresse, nous avons demandé aussi à Aurélie quels étaient les autres recettes de ce succès.

« La première chose, c’est vraiment de se faire conseiller et de bien s’entourer.
En tant qu’entrepreneure, je peux paraître fonceuse mais, en fait, j’avance lentement, je prends le temps.
Et je crois que c’est une vertu dans l’entrepreneuriat durable.
Quand on veut faire dans la durabilité, il faut un véritable ancrage, sur son territoire, dans sa commune, avec ses partenaires, etc. Et cet ancrage, il ne se fait pas du jour au lendemain.

Et puis, bien sûr, il y a la confiance.
Pour moi, c’est essentiel d’établir des relations fortes avec les producteurs. J’ai besoin d’être dans la confiance.
Si la confiance est rompue, ce n’est pas la peine ».

Relation de confiance avec les producteurs

« Pour moi, la durabilité, c’est un juste équilibre entre l’attention qu’on va porter à la fois à l’écologie, aux aspects économiques et aux questions sociales.
Et je ne dis pas que c’est facile, c’est pour ça que je parle d’un juste équilibre ».

Aurélie, fondatrice de la coopérative bruxelloise La Vivrière

« Certains misent tout sur l’axe écologique, quand on parle de durabilité.
Mais en vrai, sur le long terme, la durabilité ça passe aussi par un modèle économique qui permet de traverser les tempêtes et dans auquel on peut aussi continuer à se payer de manière digne.
Et puis cela permet de créer des emplois pour lesquels, en plus, les gens sont plutôt fiers d’être là ».


Eh bien, voilà.
Ce sont là les précieux partages d’expérience d’Aurélie sur la gouvernance et la gestion participative d’entreprises, un modèle sans doute un peu plus complexe que le modèle traditionnel mais qui, en soi, est aussi une composante de la durabilité.

Et le message de conclusion d’Aurélie pour vous, chères lectrices et chers lecteurs, est aussi plus que positif.

« Eh bien, ce que je voudrais dire aux lectrices et lecteurs, à tous ceux qui lisent le Webmagazine, c’est qu’ils peuvent être fiers de leur démarche.
On sait qu’on voudrait tous faire plus, mais en fait, déjà ce qui est important, c’est de commencer à faire quelque chose.
On doit être indulgent avec soi-même.

On fait à la hauteur de ce qu’on peut faire, mais au moins, on fait quelque chose.
Et on le fait du mieux qu’on peut, ce n’est peut-être pas parfait, mais on avance. Ensemble on va vers la durabilité ».

Un immense merci, Aurélie.

Et, à tous à Bruxelles, on vous recommande plus que vivement de faire vos courses à La Vivrière.
A la boutique ou sur le site.

Parce que, non seulement, c’est bien mais en plus, c’est bon.
Mille mercis à tous !


Cet article a été réalisé en partenariat avec 
hub.brussels, l’agence bruxelloise des entreprises.


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