La reprise d’entreprise, c’est un vrai sujet.
Qui n’est pas vraiment récent, c’est vrai, vu que le système coopératif existe au moins depuis le XIXème siècle.
Mais qui est toujours et plus que jamais d’actualité.
Les salariés veulent reprendre leur entreprise ?
Et s’investir dans sa gouvernance ?
OK, très bien. Mais concrètement, ça se passe comment ?
Le fait est qu’avec la crise sanitaire ces questions sont revenues sur la table avec insistance.
De nombreuses entreprises ont souffert du confinement, et parfois même jusqu’à la faillite.
La reprise par les salariés apparaît donc comme une vraie solution.
Et ça marche.
Preuve à l’appui avec le projet Rengo Cameleon qui montre bien qu’il est possible de revitaliser une entreprise classique en intégrant les salariés dans sa gestion et sa gouvernance.
Avec, au passage, un ancrage affirmé sur la voie de la durabilité et de la circularité.
Pour nous expliquer tout cela, nous avons eu le plaisir de rencontrer Marie Alexandre et Adeline Van Kerrebroeck de hub.brussels.
Victime du confinement
Créée en 1988, Cameleon est une enseigne commerciale de fringues « outlet » modernes et tendance.
Après une belle croissance dans les années 2000, l’entreprise ouvre une nouvelle belle et grande boutique (8.000 m²) à Woluwe-Saint-Lambert. Après quelques mésaventures, l’entreprise renoue un temps avec la croissance avant de connaître à nouveau quelques difficultés.
Et puis, Patatrac ! Bardaf !
La crise sanitaire et ses longs mois de confinement, de commerces essentiels et de chômage technique…
Cameleon souffre et doit finalement faire appel, à l’été 2020, à un médiateur d’entreprise afin d’étudier toutes les pistes possibles pour redresser l’entreprise.
Le 6 novembre 2020, celle-ci fait aveu de faillite.
C’est donc la fin de Cameleon ?
un vrai projet participatif
Eh bien non, ce n’est pas la fin. Je vous rassure.
Ouf de soulagement.
À l’origine de ce sauvetage, il y a d’abord la volonté et la ténacité d’une partie du personnel de Cameleon et de deux entrepreneurs bruxellois, Thibaut Dehem et Alexis Malherbe, qui créent une nouvelle société, Rengo, pour relancer les activités de Cameleon en y intégrant un système de gouvernance participative.
« Dès le départ, nous voulions faire participer tous les employés à la vie de l’entreprise et à la prise de décision.
Thibaut Dehem, fondateur de Rengo et l’un des repreneurs
parce qu’au final, nous sommes tous des collègues, et c’est ça qui est important ».
Sacré challenge !
Et si, finalement, la mayonnaise a pris, c’est parce que dans le même temps, la Région bruxelloise a mis sur pied un système d’accompagnement précisément dédié à l’aide à la reprise d’entreprises en difficulté.
On pourrait appeler ça de la synchronisation, ou plus simplement « les grands esprits (et les grandes idées) se rencontrent ».
Innover pour sauver les entreprises
et les emplois
Parce qu’en effet, dès octobre 2020, dans le cadre du Plan de Relance et de Redéploiement lancé par la Région pour faire face à la pandémie, hub.brussels s’est vu confier la mission d’accompagner, avec l’aide d’experts externes, des projets de reprise d’entreprises en difficulté par / avec leurs travailleurs.
Ce dispositif d’accompagnement très complet (finances, développement commercial, aide juridique, adaptation du business model à la transition économique etc.) s’est rapidement mis au service du projet Cameleon.
Et, avec cette aide (mais aussi celle du Cabinet de Barbara Trachte, de Job Yourself / Reload Yourself, de Finance&invest.brussels), une nouvelle société est née, Rengo, qui a pu prendre en charge la reprise de Cameleon.
Les défis de la reprise participative
Aujourd’hui, la reprise de Cameleon par la société Rengo (fondée par les repreneurs et une partie des salariés), est globalement un succès.
Elle est encore en plein démarrage mais le système de reprise participative a fonctionné.
Mais que de défis à relever pour y parvenir.
À commencer par la question du format juridique.
« Il y a assez peu d’entreprises qui sont reprises par les travailleurs.
Marie Alexandre et Adeline Van Kerrebroeck de l’équipe de hub.brussels
Il y a des entreprises qui sont créées sous forme de coopératives directement avec les travailleurs, mais sous la forme qu’a choisi Rengo c’est vraiment rare.
Et donc cela a été assez difficile au niveau du cadre légal pour imaginer une reprise avec les travailleurs ».
Défi financier ensuite.
Sortir d’une situation de faillite n’est pas chose aisée.
Et il a fallu mettre en place une subtile alchimie, composée de financements publics et de participation au capital des nouveaux salariés-actionnaires pour recapitaliser l’enseigne et financer ce redémarrage.
Défi social, aussi bien sûr.
La cinquantaine d’ex-employé·e·s ont pu faire leur entrée au capital de la toute jeune SRL, grâce à une solution innovante trouvée par JobYourself (dans le cadre de Reload Yourself, la nouvelle coopérative bruxelloise de reprise et de relance d’activités économiques), et qui a permis à chacun d’eux de conserver leurs droits aux allocations chômage tout en devenant (pour celles et ceux qui le souhaitaient) actionnaireentrepreneur de la société Rengo.
Et pour mijoter tout cela, Rengo a pu compter sur un appui sans failles de hub.brussels.
Et, quand on y regarde de près, ça faisait vraiment beaucoup de choses à gérer
Donc, merci hub.brussels ! Good job !
La question centrale de la gouvernance
C’est peut-être dans tout cela le sujet le plus important.
Faire de salarié·e·s des entrepreu·r·se·s, les impliquer durablement dans la gestion et le pilotage de l’entreprise, organiser tout cela dans le respect des sensibilités de chacun·e…
C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire.
Et c’est pourtant l’un des principaux trucs de cet économie du futur qu’est l’entrepreunariat participatif.
Et ce défi est encore plus complexe dans le cas d’une reprise qui doit respecter un existant, une histoire et, bien évidemment, une équipe.
Du coup, comment ont-ils fait ?
C’est la question qu’on a posé à Ludmilla Petit, spécialiste du management et du développement des entreprises mandatée par hub.brussels pour cette mission.
Un projet d’entreprise partagé
Et, ainsi qu’elle nous l’a expliqué, la première étape a été de définir le projet commun de l’entreprise avec l’ensemble des acteurs en présence (l’équipe de Rengo, mais aussi les manageurs et les collaborateurs de Cameleon).
C’est une évidence mais qu’il faut toujours rappeler : tout commence par une vision partagée.
Puis, ceci fait, une fois que le projet s’est dessiné aux yeux de toutes les parties prenantes, il a fallu trouver le modèle qui allait permettre de réaliser cette vision.
C’est la fameuse question de la forme juridique.
« Dès qu’un accord est intervenu entre les trois entrepreneurs et la curatrice, nous avons tenté de trouver un modèle de reprise pour associer le personnel.
Nous avons travaillé avec deux avocats spécialisés en droit commercial et fiscal, de façon à faire de ce projet une opportunité de développement réaliste pour le personnel et qui ne soit pas une charge fiscale ou pénalisante pour les collaborateur·rices ».
Ludmilla Petit, spécialiste du management et du développement des entreprises
Tout cela a pris du temps, bien sûr, mais cela a abouti.
Et, dans la foulée, il a donc fallu bâtir le système de gouvernance permettant de faire fonctionner cette nouvelle organisation. L’erreur aurait été évidemment de retomber dans le système d’avant Rengo.
Comment impliquer le personnel et jusqu’où ?
Dans quels organes ?
Quel pouvoir donner et à quel niveau ? Comment décider ?
Ce sont évidemment toutes ces questions qui définissent des modes de gouvernance. Mais, ainsi que l’a souligné Ludmilla Petit, il a d’abord fallu familiariser l’ensemble des parties prenantes du projet à ces questions.
Cela a donc été une étape essentielle.
Expliquer, sensibiliser, former… cette appropriation par tous de ces concepts, techniques et règles de fonctionnement est absolument fondamentale.
Nouvelles manières de penser
Et puis, ceci fait, il a fallu aborder une autre question toute aussi cruciale : le passage d’une culture d’employé·e à une culture de collaborateur / associé / entrepreneur.
Pas si évident que cela, vous en conviendrez.
« Effectivement.
Parce que, finalement, c’est quoi être actionnaire ?
C’est à la fois participer au pilotage et à la valeur que l’on crée dans l’entreprise.
Passer au statut d’actionnaire implique toute une série d’informations, qui sont super importantes à connaître avant de s’engager !
C’est pourquoi nous avons beaucoup insisté sur les enjeux d’avoir deux casquettes : actionnaire et collaborateur ».
« On pense toujours que tout le monde rêve de devenir actionnaire de son entreprise…
alors que ce n’est pas forcément le cas !N’oublions pas qu’une des principales motivations des employé·e·s, au départ, était de maintenir leur emploi. »
Ludmilla Petit, spécialiste du management et du développement des entreprises
Et très vite sur du concret
Le risque dans cette situation, c’est que très vite les énergies s’épuisent sur ces questions vaguement abstraites et subtilement techniques.
Et c’est vraiment un gros risque.
C’est la raison pour laquelle une fois les questions légales, financières et de gouvernance à peu près réglées, Ludmilla et l’équipe de hub.brussels ont accompagné les repreneurs, les nouveaux actionnaires-collaborateurs et le reste des équipes (que l’aventure coopérative ne tentait pas) sur la voie de projets très concrets.
À commencer par de nouvelles mesures bien-être dans les espaces de travail et le réaménagement des bureaux. Difficile d’être plus concret, vous en conviendrez.
« Nous avons, en effet, mis en place ce comité bien-être qui a planifié en intelligence collective le réaménagement des bureaux avec pour objectif d’amener plus d’harmonie et de fluidité dans le travail de chacun et donc dans le bon fonctionnement collectif.
Cela a permis, en corollaire, de motiver les équipes autour d’un projet commun.
Cette étape s’est avérée très riche dans la mesure où chacun a pu apporter sa pierre à l’édifice, tout en apportant des solutions réalistes. »
« C’est probablement cela le premier avantage d’un système de management plus collaboratif : permettre à chacun de contribuer à améliorer la performance et le cadre de travail.
Développer son autonomie, et voir le résultat de ses propres décisions, c’est aussi un des facteurs de motivation…
Ludmilla Petit, spécialiste du management et du développement des entreprises
Cap sur la circularité
C’est aussi l’un des enseignements forts de ce projet un peu expérimental.
Bien sûr, très vite, les experts mandatés par hub.brussels ont tenu à informer les repreneurs et les équipes des questions de durabilité et de circularité, qui sont au cœur du processus de transition économique et écologique.
Mais le fait est qu’une fois sensibilisées, ce sont les équipes de la nouvelle entité Rengo Cameleon qui se sont appropriés ces sujets pour orienter en profondeur le nouveau projet d’entreprise sur cette voie.
Vous nous expliquez cela, Marie et Adeline ?
« Bien sûr.
Cela a commencé avec la mise en place de groupes de travail spécifiques. Le premier s’est penché sur l’impact de l’entreprise en termes de bilan carbone. Et cela a permis de conscientiser pas mal de travailleurs qui n’avaient pas pleinement conscience de ces sujets et de leur importance sur le climat, notamment.
Puis, dans le cadre d’un autre groupe de travail, nous avons réfléchi ensemble aux questions de production des vêtements, d’invendus, de logistique, etc.
C’est notamment à partir de ces réflexions qu’ont été lancés les projets de vente de vêtements de seconde main et d’origine des matières premières achetées, dénommé Re-Love by Rengo.
Enfin, le troisième groupe de travail s’est concentré sur les sujets des déchets, et notamment des plastiques que l’on trouve dans presque toutes les livraisons. »
« Et c’est ainsi que le premier gros projet qui a pris vie, c’est l’idée d’un espace de vente de vêtements de seconde main, avec la volonté vraiment d’aller plus vers du « slow fashion » puis vers de l’upcycling, et donc vers une véritable activité d’économie circulaire.
IL SE DÉNOMME RE-LOVE BY RENGO. ».
Parce que c’est possible
On l’aura compris, la reprise de Cameleon dans le cadre d’une démarche participative et sa réorientation à la fois opérationnelle et éthique, ça n’a pas été du gâteau.
Mais, globalement, c’est une réussite.
Et c’est sans doute cela le plus important.
Parce que cela prouve que la reprise par les travailleurs d’une activité économique hyperclassique, dans un secteur traditionnel pas franchement connu pour sa culture progressiste et innovante, eh bien, c’est possible.
Et c’est une sacrément bonne nouvelle !
Parce qu’au final, la Grande Transition, ce n’est pas que des créateurs engagés et militants, c’est tout autant des entreprises existantes qui doivent apprendre, se redécouvrir et s’écouter.
Pour aborder l’avenir avec confiance et éthique.
les Chiffres clés de Cameleon rengo
La reprise de Cameleon Rengo, c’est :
- 70 emplois créés et/ou sauvegardés
- 22,6 % : parts de droit de vote des travailleurs à l’assemblée générale de la société
- 7 types d’accompagnement (légal, gouvernance d’entreprise, business & finance, aides publiques, retail, urbanisme & environnement, durabilité et économie circulaire)
Photos : Rengo / Caméléon – Hub.brussels
Cet article a été réalisé en partenariat
avec hub.brussels, l’agence bruxelloise des entreprises.
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