Tous chez Janine !

Et si on utilisait de la drèche de bière pour faire du bon pain artisanal de chez nous ?
Et si, en plus, on utilisait les invendus de pain comme ingrédient pour brasser nos délicieuses bières bruxelloises ?

De la bière avec du pain et du pain avec de la bière.
Il faut reconnaître, c’est assez malin et futé.

Et, pour le coup, c’est vraiment l’économie circulaire en action, un nouveau modèle productif, créatif et symbiotique.

Eh bien, ce projet a vu le jour, alchimie étonnante et savoureuse de créativité, de gastronomie et d’ingéniosité.
Ça s’appelle Janine et c’est une super-boutique qui vient d’ouvrir à Forest, à deux pas de l’Altitude 100.

Et cette étonnante boulangerie-brasserie, nous avons voulu la découvrir avec vous.
Rencontre avec l’un de ses fondateurs, Bertrand Delubac.


Gastronomie circulaire

« Janine est donc à la fois au four et au moulin : elle casse la croûte le jour et se coule des mousses la nuit, toujours dans un esprit rassembleur.
Elle le fait pour l’amour des siens, des femmes et des hommes qu’elle aime, qui l’inspire, à qui elle souhaite donner le plaisir simple d’une bonne bière, et d’un pain à la mie bien moelleuse qui fait du bien au cœur comme à la Terre ! »

Bienvenue chez Janine.

Il faut reconnaître, ce projet est assez extraordinaire.

En créant une forme harmonieuse d’écosystème productif mêlant des savoir-faire à la fois différents et complémentaires, Janine préfigure ce que devrait être une économie créative conçue pour créer de la saveur et du plaisir à partir d’une réflexion circulaire parfaitement maîtrisée dès sa conception.

Tu nous expliques comment ça marche, Bertrand ?

« En fait, le principe de Janine, c’est de produire à la fois du pain et de la bière dans un cycle croisé.
Concrètement, on fabrique du pain dans lequel on intègre de la drèche de bière qui est en général jetée par les microbrasseries urbaines. Nous, on récupère cette drèche, on la torréfie dans notre four et on l’intègre dans notre pâte à pain.
Ainsi, on a notre pain à la drèche de bière.

Et de l’autre côté, on brasse notre bière à partir de pains invendus, en remplaçant environ 20 % du malt par du pain issu d’invendus que nous récupérons.
Et voilà. On a ainsi un processus qui est complètement circulaire ».

« Schématiquement, le principe technique est assez simple.
En fait la drêche, c’est le malt concassé qu’on infuse au début du processus de brassage.
Puis on retire le liquide qui s’appelle le moût et on se retrouve avec ces résidus, les drêches, qui sont humides et qui peuvent pourrir rapidement.
C’est pour ça d’ailleurs que les microbrasseries urbaines jettent très souvent ces drêches, alors que ce sont des nutriments qui sont très bons pour la santé.

Et donc nous, ce qu’on fait, c’est qu’on récupère cette drêche de nos brassins qu’on va vite mettre au frais et qu’on torréfie dans notre four. Et une fois que c’est sec, on peut la conserver et l’intégrer dans notre pâte à pain.
Et c’est comme ça qu’on fait notre pain aux drêches, notre pain Janine, qui ressemble un peu à un pain grec ».

OK, ça c’est pour le pain.
Et pour la bière ?

« Il faut savoir que le pain représente 20 % du gaspillage alimentaire en Belgique et à Bruxelles, ce qui est énormissime ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.

« Du coup, notre truc, ce n’est évidemment pas de surproduire dans notre propre boulangerie pour utiliser nos surplus dans nos bières.
Ça serait contreproductif.
Mais, comme il y a toujours des invendus de pain dans les boulangeries, on a noué des partenariats avec certaines d’entre elles qui nous les donnent pour qu’on puisse les intégrer dans nos bières.

Et donc, on remplace environ 20 % du malt par ce pain invendu qu’on broie et qu’on fait infuser au début du processus de brassage.
Et on travaille avec la Brasserie de l’Annexe, qui nous loue ses installations ».

« On est en train de créer une coopérative de microbrasseries qui devrait ouvrir ses portes au début de l’année prochaine.

L’idée c’est d’investir ensemble dans une salle de brassage commune qui appartiendra à la coopérative et dans laquelle chacun pourra brasser ses propres bières ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.
Janine, c’est aussi un magnifique univers.

« Et on aurait un bar sur place pour vendre nos propres productions. Et on a hâte de pouvoir vous accueillir dans ce local qui sera situé à Etterbeek dans le domaine de l’Arsenal ».

Que de projets, que de projets.
Eh bien, nous aussi, on a hâte d’aller voir ça.


L’eau à la bouche

On a compris le principe et c’est effectivement assez futé.
Mais, bien sûr, ce qu’on voudrait aussi savoir, c’est ce qu’on trouve de bon en entrant dans cette belle boutique ensoleillée.

« Eh bien, aujourd’hui, on a déjà une belle gamme à proposer à nos clients.
On a du pain et de la bière, bien sûr, mais aussi des viennoiseries et des pizzas.

On a vraiment choisi de se concentrer d’abord sur la qualité, avec l’idée d’élargir notre gamme par la suite.

Nos pains, tout d’abord.
Ils sont tous faits à base de levain naturel et d’ingrédients locaux et sans additif. On travaille avec un moulin de tradition familiale qui est situé à environ 90 km de Bruxelles.

On propose de la baguette traditionnelle, des pains de campagne, du pain à l’épeautre.
Et aussi, le pain des amis, un pain qui se partage en quatre, avec quatre petites boules, pour lequel on utilise du levain et de la levure de bière.

Et, on a nos pains aux drèches évidemment.
Là, on propose du pain de mie et du pain noir.
Celui-ci, c’est un pain nordique qui se coupe également en tranches et pour lequel on utilise de la farine de seigle, de la farine d’épeautre. On met une bière brune, une Porter, du miel, du yaourt et plein de graines.
Ce sont donc des pains qui sont très sains, très bons pour la santé ».

Ça, c’est pour la boulangerie.

Et du côté des bières ?

« Nous brassons nos bières à la Brasserie de l’Annexe.
On en propose deux, toutes à base d’invendus de pain, mais de styles très différents.
La première, la Rock’n’Carol, est une American Pale Ale, et la seconde, la Ka Sa Yé ? est une New England IPA (Indian Pale Ale).


Et on lance une nouvelle le mois prochain, une Porter brune, toujours bien sûr à base de pain.

Et voilà ».

Eh bien, c’est clair.
Maintenant, il faut y aller pour goûter.
Obligé.


Une sacrée histoire

Le projet est magnifique.
Et vraiment emblématique des orientations que devrait prendre le système économique pour développer des logiques productives pensées dès le début pour utiliser les « déchets » d’une activité pour en faire les ressources d’une autre.

Et cela, dans une dynamique de créativité et de recherche de la qualité.

Ainsi, la notion de « déchets » n’existe quasiment plus.
Il n’y a plus que des ressources et, plus précisément, des ingrédients au service d’un savoir-faire soigneusement acquis.

Et c’est cela aussi qui est étonnant dans ce projet.

A priori, les métiers de boulanger et de brasseur sont assez différents.
Comment en vient-on à les conjuguer, à créer quelque part ces nouveaux métiers d’artisans circulaires ?

Bertrand, tu nous racontes ? 

« Le fait est que c’est le résultat d’un assez long processus.
C’est un projet que nous avons mené à quatre, Maxime, mon frère, Morane sa copine, Carole ma compagne et moi, un projet qu’on a voulu développer autour de deux produits qu’on aime et pour lesquels on voulait justement communiquer ces ondes positives ».

« On était tous en reconversion professionnelle et ça faisait longtemps qu’on se posait des questions pour donner plus de sens à ce qu’on fait ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.

« Maxime était ingénieur mais comme il ne se retrouvait pas dans son boulot, il s’est reconverti dans la boulangerie en France. Il a notamment bossé pendant plusieurs années à Paris comme boulanger.
Morane, elle était biologiste et elle travaillait dans des laboratoires pharmaceutiques mais elle ne s’y retrouvait plus vraiment non plus. Elle s’est alors passionnée pour le brassage.
Et pour une biologiste, c’est un match assez évident en fait.

Quant à moi, je travaillais pour les institutions européennes en Afrique, mais j’ai eu envie de m’engager dans un projet qui nous rassemble, dans lequel on puisse faire ensemble quelque chose de vraiment concret, de vivant.

Et Carole, ma compagne, elle a gardé son boulot de son côté mais elle nous aide à structurer le tout ».

Du coup, on saisit mieux comment ce mélange de compétences et d’expériences a pu donner naissance à Janine.
Où l’on comprend à nouveau que la circularité est le fruit de démarches et d’approches à la fois symbiotiques, ouvertes et créatives.

Mais, au fait, pourquoi Janine ?

« Janine, c’est tout simplement le nom de notre grand-mère, à mon frère et moi.
Et, pour nous, c’est le souvenir de moments de partage, de moments chaleureux, de générosité et aussi, bien sûr, de gourmandise ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.

Force bruxelloise

Janine, c’est un projet super-inspirant qui donne à voir cette économie de l’avenir où tout est pensé en termes de circularité créative.
Et, si on y réfléchit, on peut imaginer qu’il y a plein d’autres choses à faire en associant des métiers et des ressources complémentaires pour des activités intégrées.

Et c’est bruxellois.
Et on a presque envie de dire que ce projet, comme tant d’autres, est le fruit d’un investissement fort de la région bruxelloise en faveur de cette nouvelle économie circulaire et durable.

C’est aussi ton avis, Bertrand ?

« C’est vrai qu’en matière d’économie circulaire, il se passe énormément de choses à Bruxelles.
Bien sûr, il faut que les habitudes et les mœurs de la clientèle suivent mais le fait est qu’il y a une volonté politique forte qui est notamment incarnée par la secrétaire d’état, Barbara Trachte, avec une feuille de route et une volonté de faire de Bruxelles un véritable laboratoire de l’économie circulaire.

Et, du point de vue entrepreneurial et associatif, ces actes politiques sont suivis par des gestes concrets et des dispositifs continus, des aides et des mesures d’accompagnement notamment ».

« En tout cas, nous, nous sommes vraiment très satisfaits de ce soutien des différentes institutions bruxelloises, de l’intérêt des politiques pour des projets comme les nôtres ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.

« On ne va peut-être pas changer le monde mais avec des petites initiatives comme celles-là, mais si nous sommes nombreux à vouloir faire les choses autrement, petit à petit on va peut-être réaliser des choses intéressantes.
Donc, je suis assez optimiste concernant l’avenir de l’économie circulaire à Bruxelles ».

Ce qui est assez remarquable et exemplaire dans le parcours de Janine, c’est la manière dont cet écosystème d’appui bruxellois s’est mis en place pour soutenir le projet.
Comme autant de briques, les dispositifs existants ont permis la maturation et la concrétisation de cette belle initiative. 

« Tout à fait. Cela fait à peu près deux ans qu’on s’est lancé dans cette aventure et, rapidement, notre projet a été retenu pour participer au Greenlab, l’incubateur durable de hub.brussels.
C’était très, très intéressant et, en 2020, on a même remporté le Prix du public ».

« L’expérience Greenlab a été essentielle pour structurer et maturer notre projet sur le papier. Ça nous a clairement permis de le mener à bien, de trouver des financeurs et de confirmer sa solidité économique ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.

« Greenlab nous a vraiment ouvert les portes du réseau bruxellois, tant auprès des administrations avec hub.brussels qui nous a beaucoup aidé, qu’auprès de la Commune de Forest.

Et le fait d’avoir participé au Greenlab et d’avoir remporté le Prix du Public nous a aussi rendus crédibles auprès des financeurs, notamment auprès de la banque éthique Triodos qui nous a suivis dès le début.
On a également été soutenu par Brussoc, une cellule de financement qui accompagne les petites PME, et aussi par Fund For Good, un fonds d’investissement qui prête de l’argent à taux nul pour les entreprises durables.

Et puis on a aussi été soutenus par le biais des appels à projets Be.Circular et Open Soon du 1819.
Enfin, en termes d’accompagnement, on a été très bien suivis, aussi bien sur les questions juridiques que commerciales ou urbanistiques ».

« Donc, oui, à Bruxelles, on est vraiment bien accompagné. 
C’est quand même assez exceptionnel ».

Bertrand Delubac, l’un des fondateurs de Janine.

Et voilà. Le récit d’une très belle aventure et d’un projet qui, on l’espère, en inspirera beaucoup d’autres.
Des nouvelles idées, des nouveaux métiers, des nouvelles saveurs…

Je crois que Grand-mère Janine serait fier de ses petits-enfants.
En tout cas, nous on lui dit bravo.

Merci, Morane, Carole, Maxime et Bertrand !


Crédit Photos : Janine


Cet article est sous Licence Creative Commons.
Vous êtes libre de le réutiliser (en mentionnant l’auteur – BY) mais pas pour un usage commercial (NC) et pour le partager dans les mêmes conditions (SA).
All about Creative Commons