Mondialisation vs Relocalisation

Bienvenue, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Prenez place, je vous en prie.  

Ne vous inquiétez pas, il y aura des sièges pour tout le monde.

Bienvenue, disais-je, pour cet incroyable affrontement !

A notre droite, le champion en titre ! J’ai nommé… la Mondialisation !
24.795 milliards de dollars d’échanges commerciaux chaque année dans le monde pour une circonférence de 40 075 kilomètres !
Une bête surpuissante ! Un monstre !

Et, à notre gauche, notre Petit Poucet, le David face au Goliath !
J’ai nommé… la Relocalisation !

Quant à ses mensurations exactes, on ne les connaît pas.
Mais, à y regarder de près, cela parait franchement riquiqui à côté…

Attention, vous êtes prêts ?
Ding !
C’est parti, le combat a commencé.


La Mondialisation, c’est du lourd, du très lourd

Entamée au début des années 1980, notamment sur l’impulsion des dirigeants hyperlibéraux du moment (Thatcher et Reagan pour ne pas les citer), la Mondialisation s’est considérablement renforcée avec la chute du Mur de Berlin en 1991 qui a vu s’effondrer le seul modèle d’importance alternatif au libéralisme (et on ne s’en plaint pas).
Là, les libéraux ont crié victoire.
Le socialisme est mort, vive l’économie de marché !

Les politiques de libre-échange initiées dans les années 1960-1970 se sont accélérées.
Sous l’inspiration de nos super-capitalistes (je ne vais pas les renommer), de nombreux pays ont mis en place la “Politique des 3D” : « Désintermédiation, Décloisonnement, Déréglementation ».
Ca fait rêver…

Grève des mineurs à Londres en 1984
Source : Wikipédia

Il s’agissait alors de simplifier les règles de la finance, de supprimer les intermédiaires financiers et de faire tomber les barrières entre les différentes places financières.
Cette globalisation financière a contribué à l’émergence d’un marché financier mondial où se sont multipliés les échanges de titres et de capitaux.
Ce furent ainsi d’abord les échanges commerciaux, puis les transferts de capitaux (le commerce mondial a été multiplié par 7 entre 1980 et 2017), pour atteindre ces volumes d’échanges incroyables qui caractérisent notre Bête sauvage, la Mondialisation.


Au début, pas une si mauvaise idée

Soyons honnêtes, nous étions nombreux à penser à cette époque que notre créature, la Mondialisation, était une bonne chose. D’ailleurs, nombre de personnes éclairées l’ont défendue et vantée à tout bout de champs, y compris chez les sociaux-démocrates européens.
Et il y avait une vraie idée derrière, peu ou prou celle qui a donné naissance à la construction européenne et qui consistait à penser qu’en augmentant les échanges commerciaux et en faisant tomber les barrières aux échanges entre les pays, nous allions réduire d’autant le risque de conflits.

Et, globalement, ça a marché.
Ainsi, entre 1992 et 2005, le nombre de conflits armés a été réduit de 40 %. Malgré la Bosnie et le Rwanda, le nombre de génocides et autres massacres d’ampleur a, lui, chuté de 80 % depuis la fin de la guerre froide.

Même si la Mondialisation n’est évidemment pas le seul facteur qui a conduit à cette évolution, il n’en reste pas moins qu’elle a joué un rôle important.

Donc, oui, pendant des années, la Mondialisation était une grosse bête sympathique.
On était content de se réchauffer dans sa grosse fourrure.
D’autant qu’avec elle sont arrivés Internet, les réseaux, la culture mondiale et les voyages (affreusement) pas chers…


Plus de richesses, donc plus de riches

Le fait est qu’en grandissant dans sa forêt, notre grosse créature a quand même créé beaucoup de richesses.
Clairement pas toujours très bien partagées, d’accord.

Cela étant, il n’en reste pas moins que cette croissance a aussi permis l’apparition et le développement d’une classe moyenne de plus en plus importante dans les pays émergents, en Chine et en Inde notamment, où des dizaines de millions de personnes ont pu accéder à un certain niveau de confort.
La mortalité infantile a baissé massivement et les grandes famines du XXème siècle ne sont presque plus qu’un mauvais souvenir.
Ce dont on ne peut que se réjouir évidemment…

Shanghaï – Source : Wikipédia

… pour autant que cela soit durable.

Ce dont on peut douter si l’on en croit les analyses de Naomi Klein, la journaliste et essayiste américaine, qui annonce comme un mouvement de balancier en faisant la prédiction d’un monde divisé à terme en deux zones, avec une « zone verte », protégée et préservée où rien ne manquera aux privilégiés qui y vivront, et avec, d’autre part, une « zone rouge » en proie à des crises de ressources et à un appauvrissement progressif qu’accompagnera son lot de misères, d’exodes et de guerres.

Si cette vision, conséquence du capitalisme effréné selon Naomi Klein, ressemble fort à un certain apocalypse, il n’en reste pas moins que c’est aussi ce que semble dessiner les changements climatiques en cours qui vont rendre ces régions de moins en moins habitables…

Naomi Klein au Forum Social Mondial – 2014
Source : Ben Powless – CC

Et puis, les dérives…

Et donc, tout doucement, ça a commencé à merder.
Y compris chez nous.
Ça a commencé avec les délocalisations.
Puisqu’on peut fabriquer de n’importe où pour vendre partout, pourquoi s’en priver ?

Déplaçons nos usines au Maghreb et tant pis pour nos salariés européens. Et puis non, finalement, le Maghreb c’est trop cher, bougeons en Chine ou au Bengladesh. Ils sont encore moins chers. Génial !
Et achetons nos produits aux Chinois.
C’est du plastique infâme fabriqué dans des conditions détestables mais on s’en fout. Et puis eux, en échange, ils achètent notre vin, nos parfums et notre chocolat. C’est chouette !

Et, c’est là que notre gentille grosse Créature s’est transformée en Ogre sanguinaire. Plus de fric, moins de contrôles, pas de réglementations…
Notre Mondialisation se régale !

Et c’est sans doute de là que vient le Mal. Ce qui devait être une dynamique vertueuse s’est transformée en spirale infernale.

Francisco de Goya – Saturne dévorant ses enfants (1819-1923)
Une allégorie de la mondialisation à outrance ?
Source : Wikipédia

En cause ? Fondamentalement, ce que nous croyons nous, c’est que c’est cette absence de règles qui a ruiné le concept.
La Sainte Concurrence (qui n’est pas une mauvaise chose dans l’absolu) ne fonctionne que si les règles sont les mêmes pour tous.
On veut bien commencer avec des règles plus souples au début pour les plus faibles et les nouveaux entrants (on ne vas pas demander au Bengladesh d’instaurer le SMIC) mais, avec le temps, celles-ci doivent être appliquées.
On ne peut pas vouloir le beurre (l’accès aux marchés européens) sans payer l’argent du beurre (le respect des règles sociales et environnementales minimum).

Sauf que maintenant, c’est sans doute trop tard. 
Boum-bada-boum. Les économies sont tellement interconnectées qu’en l’absence d’arbitre mondial on ne peut plus rien remettre en cause.
Si demain, on impose aux Chinois de respecter des normes sociales ou environnementales, le retour de bâton va être douloureux. Fermeture du marché chinois, taxes sur nos vins et nos parfums, mesures de rétorsion…

Impossible. A moins peut-être de planifier cela dans le temps… Sur une génération…


La Mondialisation des poubelles

Avec la Mondialisation et les délocalisations, nos usines sont parties dans les pays en développement où elles ont contribué à enrichir une certaine partie de la population (pas tous malheureusement mais quand même).
Au lieu de fabriquer nos produits ici, nous les fabriquons là-bas pour les consommer ici. Juste parce que c’est moins cher.

Et c’est aussi là que ces pays émergents sans aucune justice sociale ou normes environnementales subissent la double peine : En tant que zone d’extraction de ressources, ils sont pillés et leurs biodiversité est allégrement massacrée ; et en tant que zone de production sans protection sociale, ils apprennent les joies de l’exploitation capitaliste.

Mais évidemment ce n’est pas tout.
Parce que quand on a fini de consommer les produits qu’ils ont fabriqué pour nous, on leur renvoie les déchets…
Sympathique.

Il est vraiment temps d’arrêter ces conneries.

Et puis vint la pandémie

C’est donc la fin du monde…
En fait, non, pas forcément.

Rien n’est gravé dans le marbre. Ce que nous pensions inarrêtable, inextinguible, l’appétit de goinfre de notre Mondialisation aux dents longues, a pris une grosse baffe dans la gueule au début de l’année dernière. 
Surgi vraisemblablement d’un marché de Wuhan en Chine, le coronavirus (SARS-CoV-2 pour les intimes) a sérieusement piqué le derrière de notre monstre.

Confinement, fermetures des frontières, transports à l’arrêt… ça vous dit quelque chose ? Non ?

Parce que là, on s’est rendu compte que cette interdépendance quasi-totale des économies mondiales sans aucun contrôle posait un sérieux problème.
Des masques pour protéger la population ?
Ah non, ça, désolé, on ne fait plus. C’est tellement moins cher en Chine, on serait bien bête de les fabriquer chez nous. Pourquoi ? On en a besoin ?

Des bouteilles d’oxygène pour les hôpitaux ? Pour sauver des vies, vous dites ?
Ah non. Désolé, on n’en a presque plus non plus.
Mais on a du vin, des parfums et du chocolat. Ça peut remplacer ? Non ? Vous êtes surs ? Ah zut.


Alors on pense

Il aura donc fallu cette petite chose ridicule à base de bave de pangolin pour qu’enfin on se rende compte de la situation.
Des pans entiers de nos systèmes productifs se sont révélés défaillants. Et pourquoi cela ?
A cause de la Délocalisation, la petite fille hargneuse et féroce de notre ogre devenu sanguinaire, qui a déplacé nos activités là où nous n’avons quasiment aucun contrôle.

Alors pour affronter cette vilaine Délocalisation cruelle, qui pour nous sauver ?
Quelqu’un a une idée ?
Moi, moi ! Je sais ! La Relocalisation !

Tiens, quel concept original. C’est pas idiot, ça, Maurice. Mais d’où te viennent des idées pareilles ?
Tu peux développer s’il te plaît ?

Ben, c’est facile, Monsieur LIVELY.
Pour tous les biens et produits essentiels au bien-être de nos populations, pourquoi on ne ferait pas en sorte qu’ils soient produits sur notre continent, là où nous pouvons les contrôler, les gérer et les utiliser en cas de besoin.
En veillant, bien sûr, à ce qu’ils soient fabriqués dans le respect des normes sociales et environnementales qui garantiront un avenir correct à nos travailleurs et à nos enfants.

Tu en fais un peu trop là, Maurice.
Mais c’est vrai que l’idée n’est pas complètement absurde.
On va y réfléchir.

C’est vrai qu’elle a l’air plutôt sympathique la Relocalisation.
Urbike – Un projet bruxellois

Son entrée sur le ring

Oulalah, Mesdames et Messieurs, notre Petit Poucet se redresse. Son corps est meurtri, couvert de bosses et de plaies.
Mais elle est là, Mesdames et Messieurs ! La Relocalisation !

Uppercut ! Crochet du droit ! Coup de boule !
Touchée, la Mondialisation vacille.
Mais quel match, Mesdames et Messieurs !

L’Ogre noir n’a pas dit son dernier mot mais la Relocalisation enchaîne les frappes et les esquives ! Magnifique !
Mais est-ce que ce sera suffisant ?

Difficile à dire tant le Monstre paraît solide, campé sur ses multinationales, ses lobbies occultes et ses réseaux d’affaires.

Ding !
Et c’est là qu’on en est.

Non, on n’en est pas encore là.

Equilibrer le match

Sommes-nous aujourd’hui en capacité de rééquilibrer le modèle global vers plus d’économie locale ?

Possible. Pas évident mais possible.
En tout cas, cela faisait bien longtemps que la situation n’avait pas été aussi favorable pour créer ce rééquilibrage.
On a déjà un peu dit ce qu’on voulait mais creusons le sujet.


Pas simple tout ça

Comme l’a relevé mon copain Manu, tout cela est quand même assez compliqué et doit être un peu nuancé.
Ah bon ?

Oui, dit Manu.
On assiste, en effet, ces dernières années à une certaine forme de re-régulation de l’économie, de la part en particulier des institutions européennes qui (courageusement disons-le) commencent à dresser des barrières à base de normes et de standards plutôt positifs (environnementaux notamment) pour réduire les pires effets du commerce mondial fondé sur le moins-disant.

On est plutôt content du coup.
Sauf que non, pas forcément.
Parce que le respect de ces normes élevées favorise les grands acteurs, les grosses industries capables d’investir massivement, et beaucoup moins les opérateurs plus artisanaux, de plus petite taille.
Ce qui ressemble finalement, et je cite Manu, à « une forme de protectionnisme des grands capitaux au détriment des initiatives locales, des Makers, des Communs, etc. ».

Ce que cela signifie ?
Simplement qu’en voulant réduire les effets les plus pervers de la Mondialisation par des règles vertueuses, on risque aussi d’affaiblir ceux qui, chez nous, n’ont pas forcément les moyens de les respecter.

On vous l’avait dit, c’est pas si simple.


Notre espoir, c’est l’Europe

En règle générale, les dirigeants et fonctionnaires européens sont pleins de bonne volonté.
Pas toujours très adroits ou proches du peuple certes mais, clairement, plutôt attentifs au bien commun et à la protection collective de notre bien-être.

L’arme première de l’Europe, qu’elle maîtrise très bien, ce sont les normes et les règles et, notamment, celles qui visent à promouvoir la justice sociale, économique et environnementale.

En tentant de dresser ces barrières à ce que le commerce mondial produit de pire, notre Europe évolue dans le bon sens.

Beaucoup reste à faire, c’est évident, qu’il s’agisse de reconnaître les initiatives et les particularismes locaux ou de s’ouvrir aux nouvelles formes d’activité (les Communs, par exemple) mais le fait est que, malgré les lobbies et un mode de gouvernance pour le moins complexe, notre Europe constitue aujourd’hui l’un des principaux remparts contre les coups de boutoir de la Grosse Bête Sombre.

Le Green Deal de l’Union européenne
Une véritable ambition

Qui plus est, et rappelons-le une bonne fois pour toutes aux populistes de tous bords, ce n’est qu’ensemble, nations et pays du continent uni, que nous pouvons espérer peser sur les affaires du monde et rogner les dents de la méchante Créature.
Parce que soyons honnêtes, toutes seules, la Belgique, la France, l’Italie ou même l’Allemagne, à l’échelle du globe, c’est peanuts.


La Relocalisation, OK mais comment ?

La Mondialisation, on n’est évidemment pas contre, ce serait complètement stupide.
C’est même clairement, et par de nombreux aspects, l’un des plus grands acquis de notre génération.

Par contre, ce qu’on croit, c’est qu’il va falloir muscler sérieusement notre challenger, la gentille Relocalisation, sous peine de voir rejaillir la Bête féroce dès que les effets du virus auront commencé à disparaître (avec la vaccination très probablement).
Du coup, nos idées sur le sujet :

  • Intégrer la neutralisation environnementale dans le calcul des biens et services (on en a parlé ici). Et ça, c’est le plus urgent.
  • Identifier clairement les activités qui entrent dans le champ de la souveraineté nécessaire (la santé, l’éducation, etc.) et ce, à l’échelle européenne.
  • Rouvrir les débats concernant le fonctionnement du commerce mondial à l’OMC.
  • Remettre en cause cet imaginaire dominant de la surconsommation (il n’y a qu’à voir les pubs à la TV).
  • Identifier et valoriser les savoir-faire et les productions locales (tout ce qu’on fait de bon et de bien chez nous et juste à côté).
  • Eduquer les jeunes (et les moins jeunes) aux conséquences néfastes de la consommation effrénée.
  • Développer la formation autour des savoir-faire et des produits locaux.
  • Redonner toute sa valeur au travail, à la créativité et à l’entreprenariat plutôt qu’à la production industrielle de masse qui écrase des millions de travailleurs.

Et vous, vous avez des idées ?
Vous en pensez quoi ?

« Tout ce qui est lourd doit être local et tout ce qui est léger (les connaissances et les savoirs en particulier) doit être mondial ».

Michel Bauwens, fondateur de P2P Foundation

Et l’économie circulaire dans tout ça ?

Non, non, on ne s’égare pas.

Parce que les déchets sont des ressources locales et qu’elle vise à transformer ces déchets en biens utiles, l’économie circulaire est une voie majeure de la Relocalisation.
Plus besoin d’aller extraire des ressources au Pérou, au Bengladesh ou au Maroc, elles sont déjà là, dans les bennes et containers des Recy-Parcs.

Et attention, on ne parle pas de faire des colliers de nouilles ou des dessous de plats avec pinces à linge, mais bien de création de valeur, de design, de fabrication de belles choses…

Et si vous avez des dotes sur ce sujet, retournez à la Une de notre magazine, nous ne parlons que de cela.

Autant de bonnes idées qui permettent, de plus, d’anticiper la raréfaction des ressources qui se profile, et notamment du pétrole, qui va nous contraindre à relocaliser des parts croissantes de nos activités.
Les coûts du transport mondial vont alors augmenter et s’accompagner mécaniquement de hausses des cours d’autres matières premières

Donc, soyons malins, et commençons maintenant en s’y mettant sérieusement.

Parce que l’économie circulaire, c’est peut-être bien la Super-Vitamine qu’il faut pour faire de notre challenger le héros de la prochaine génération.

Merci à tous.

Et si vous avez des commentaires, des idées ou des remarques, n’hésitez pas, c’est ici, juste en dessous.


SOURCES

L’image à la Une : Rémy Coggghe, Combat de coqs en Flandre, 1889 (détail), huile sur toile (1,26 m x 2,06 m). Photo prise au musée « La Piscine » de Roubaix, France.


Cet article est sous Licence Creative Commons.
Vous êtes libre de le réutiliser (en mentionnant l’auteur – BY) mais pas pour un usage commercial (NC) et pour le partager dans les mêmes conditions (SA).
All about Creative Commons