L’entreprenariat féminin est-il plus durable ? Plus vertueux ?Et si oui, pourquoi ?
Et quelles sont ses spécificités ?
Et l’écoféminisme dans tout ça ?
Après avoir creusé, dans nos les deux épisodes précédents de notre série, les sujets du modèle patriarcal comme fondement du capitalisme et de l’écoféminisme comme réponse possible pour évoluer vers la Grande Transition, penchons nous aujourd’hui sur l’entreprenariat féminin.
Les femmes entrepreneuses sont de plus en plus nombreuses, notamment à Bruxelles.
Et la question à laquelle nous avons voulu essayer de répondre aujourd’hui est la place que pourrait prendre l’entreprenariat féminin dans cette évolution.
Pour contribuer à ces réflexions, nous avons recueilli les témoignages de trois entrepreneuses bruxelloises que nous remercions très chaleureusement (Murielle Eyletters d’Aliwen, Élise Boon de Fais-Le Toi-Même, et Virginie de Selliers de Bulkbar) et que nous vous invitons à rencontrer dans votre Webmagazine.
du coup, l’entreprenariat féminin, est-il plus durable ?
Pour tout vous dire, j’ai longuement hésité à faire le lien entre écoféminisme, entreprenariat féminin et durabilité.
Non pas que ce lien n’existe pas.
Engagement, action, féminité, détermination, responsabilité sociale et sociétale… ces liens semblent clairement exister.
Non, ce qui m’a fait hésiter, c’est que je ne voulais pas associer à des réflexions relativement personnelles et radicales les entrepreneuses durables bruxelloises qui ont pris le temps de répondre à nos questions sur leurs vies et leurs projets.
Pour ce numéro spécial de notre webmagazine Lively, j’ai, en effet, eu le plaisir d’entendre les témoignages de Murielle Eyletters, fondatrice d’Aliwen et docteure des arbres, d’Élise Boon, créatrice de Fais-Le Toi-Même, et de Virginie de Selliers, fondatrice de Bulkbar.
Et, à chacune d’elles, actrices de l’économie durable et / ou circulaire, nous avons demandé quelles étaient, selon elles, les caractéristiques de l’entreprenariat féminin.
Et surtout, si l’entreprenariat féminin allait plus facilement dans le sens de la durabilité.
En deux mots, les femmes entrepreneuses sont-elles plus facilement des actrices de la transition que leurs homologues masculins ?
De ces échanges et témoignages, voici ce que nous avons retenu.
Un grand mot pour des histoires différentes
Tout d’abord, chacune d’elles a tenu à souligner le fait que leurs propos n’étaient « que » l’expression de leurs témoignages personnels et, en aucun cas, des positions théoriques ou des grands discours dogmatiques sur l’Entreprenariat Féminin (avec de belles majuscules masculines).
Petit avant-propos utile et expression d’une certaine humilité.
Courage, passion et détermination
C’est une évidence, la très grande majorité des femmes sont contraintes dans leur vie professionnelle par des exigences de conciliation avec la vie familiale nettement plus importantes que les hommes.
Dès lors, pour celles qui sont confrontées à ces situations, les défis à relever peuvent être significativement plus importants.
Alors, celles qui se lancent à l’aventure le font souvent avec une détermination et une envie particulièrement forte.
« Lorsque j’étais présidente de l’Association des Femmes Chefs d’entreprise de Belgique, on m’a souvent posé la question de savoir s’il y avait des spécificités à l’entreprenariat féminin. »
« Ce que j’ai pu constater, c’est que derrière chaque femme qui entreprend, il y a la passion du travail mêlée à l’envie de toujours concilier au mieux vie familiale et vie professionnelle ».
Murielle Eyletters, fondatrice d’Aliwen et médecin des arbres
« C’est toujours évidemment un gros challenge et c’est probablement l’un des freins à l’entrepreneuriat féminin, en particulier dans les situations de monoparentalité.
Mais, en tout cas, pour celles qui passent le cap, c’est toujours la passion d’entreprendre et la conciliation vie famille et vie professionnelle qui est derrière ».
C’est aussi le point de vue d’Élise Boon, créatrice de Fais-Le Toi-Même, qui accueille une très grande majorité de femmes (près de 98 %) dans sa communauté de créatrices / créateurs et d’artisan·e·s :
« Je crois effectivement que cela tient à la nature des femmes d’être courageuses, d’être tenaces, de se lancer dans des schémas qui ne sont pas forcément classiques, de porter beaucoup, d’être moteur de changements.
C’est sans doute lié à la place des femmes dans notre société, dans la systémique dans laquelle on vit, de là où elles en sont dans leurs carrières, mais aussi d’une multitude de facteurs sociétaux forcément assez complexes ».
Sens des responsabilités
Forte de son expérience d’entrepreneuse et de présidente de l’Association des Femmes Chefs d’entreprise de Belgique, Murielle Eyletters a aussi tenu à souligner le sens des responsabilités accru dont font preuve les entrepreneuses.
Le projet n’est pas que l’expression d’une ambition individuelle, il prend souvent en compte des réalités familiales et cela, peut-être un peu plus que chez les hommes pour lesquels l’entreprenariat est souvent vécu comme un défi personnel.
« Je crois effectivement qu’il y a toujours énormément de réflexions derrière une femme qui entreprend.
Murielle Eyletters, fondatrice d’Aliwen et médecin des arbres
Elle va toujours se poser beaucoup de questions, parfois trop même, au risque de la bloquer dans son projet.
Elle réfléchira toujours à deux fois par rapport à l’investissement financier, pour essayer de ne pas mettre en péril l’argent de la famille ».
D’ailleurs, là-aussi, c’est vrai que cette question du financement peut aussi être parfois un frein. On va souvent moins prêter à une femme qu’à un homme. »
Bienveillance, respect et gouvernance
Un autre trait de l’entreprenariat féminin que certaines de nos entrepreneuses ont tenu à souligner (et qui est indéniablement à mettre en lien avec la durabilité), c’est l’idée de bienveillance qui s’exprime à la fois dans les relations interpersonnelles en privilégiant l’écoute, le respect et l’entraide mais aussi dans les modes de gouvernance adoptés.
Selon Élise Boon, créatrice de Fais-Le Toi-Même, c’est très perceptible dans son environnement de travail :
« Ce que je voie autour de moi, directement dans ma communauté, c’est que dans l’entrepreneuriat féminin, il y a une volonté quand même d’amener beaucoup de bienveillance dans les rapports ».
Élise Boon, créatrice de Fais-Le Toi-Même
« Cela se traduit notamment par le fait de favoriser une gouvernance horizontale ou, en tout cas, beaucoup moins verticale.
Je ne sais pas si c’est le cas dans tous les projets d’entreprenariat féminin, mais c’est très visible chez nous, au sein de Fais-Le Toi-Même ».
Pour Virginie de Selliers, fondatrice de Bulkbar, ce pourrait effectivement être une tendance remarquable de l’entreprenariat féminin :
« C’est vrai qu’en tant que femme, on s’entraide quand même pas mal. Peut-être plus qu’entre hommes, même si je dis ça avec des pincettes, évidemment ».
« C’est un peu cliché, bien sûr, mais les hommes vont peut-être plus avoir envie de pouvoir, et donc de chercher à dominer et à écraser leurs voisins alors que c’est moins dans la mentalité des femmes ».
Virginie de Selliers, fondatrice de Bulkbar
« Cela étant, c’est sans certitude aucune, et sans doute pas une caractéristique flagrante. »
Vouloir donner du sens
Est-ce en lien avec la maternité et les enfants, un certain sens des responsabilités vers la famille et les générations futures ?
Ou plutôt, une volonté de se retrouver soi-même, de s’aligner avec ses valeurs ?
Difficile à dire, évidemment, mais l’une des tendances de l’entreprenariat féminin pourrait être aussi qu’il se dirigerait peut-être plus facilement vers des projets à forte valeur sociétale et / ou environnementale.
Pour Élise Boon, il est naturellement impossible de fournir une réponse définitive à cette question, mais ce qu’elle constate, c’est que l’entreprenariat féminin connaît une forte croissance et que ce pourrait être lié à cette volonté de s’engager.
« Je pense qu’il y a peut-être effectivement derrière ce mouvement une urgence d’agir, une urgence climatique, une volonté de changer notre rôle dans le monde et dans le monde du travail, une volonté de faire des choses avec plus de sens ».
Élise Boon, créatrice de Fais-Le Toi-Même
« Mais évidemment, ça pourrait tout à fait être le cas pour l’entrepreneuriat masculin.
Après, je crois qu’il y a quand même aussi des valeurs sur l’artisanat où les femmes sont peut-être plus attirées, une volonté de trouver plus de sens dans ce qu’on fait, ça, c’est certain.
Mais pareil, je ne pourrais pas forcément dire que c’est typiquement féminin ».
Pour Murielle Eyletters, il y a là peut-être une spécificité de l’entreprenariat féminin, mais qui pourrait tout autant être générationnelle :
« Peut être effectivement qu’il y a dans l’entreprenariat féminin un attrait vers la durabilité et les questions environnementales.
Murielle Eyletters, fondatrice d’Aliwen et médecin des arbres
Et il est possible que cette tendance soit liée à notre côté féminin et à notre côté mère, à la conscience de ce que l’on va léguer à nos enfants.
Et qu’on est y peut-être plus attentif.
Cela étant, quand on regarde par exemple les manifestations pour le climat, c’est sans doute plutôt une tendance générationnelle. ».
Entrepreneu·r·e·s durables avant tout
Sujet compliqué, bien sûr, et qui ne donne évidemment pas lieu à de grandes conclusions catégoriques et définitives.
Heureusement d’ailleurs.
Parce qu’avant d’être des femmes et des hommes, nous sommes nous-mêmes, des individus uniques avec nos valeurs, nos ambitions et nos désirs.
Nos espoirs, nos réussites et nos échecs.
Et, fondamentalement, c’est ce que nos trois entrepreneuses ont tenu à souligner.
Même si des tendances et des sensibilités existent dans les relations des femmes et des hommes vers l’entreprenariat durable, elles ne sont ni mesurables, ni absolues.
Par contre, une chose est certaine, c’est que derrière cet entreprenariat durable, il y a des valeurs fortes, individuelles et collectives, qui sont absolument essentielles.
Et que tout doit être fait pour que les femmes, qui ne représentent que 30 % des entrepreneu·r·e·s bruxellois·e·s aujourd’hui, y aient une place au moins égale à celle des hommes.
Pour le bénéfice de tous.
Photo A la Une : Delfea
Cet article a été réalisé en partenariat avec
hub.brussels, l’agence bruxelloise des entreprises.
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